Boris Vian

IEP Mag sort, une fois n’est pas coutume, du champ politique et de l’actualité pour vous proposer une brève culturelle sur un artiste connu et reconnu, Boris Vian. Que l’on apprécie ou non la qualité de ses écrits, il fait partie de ces artistes complets aux compétences et talents innombrables dont en vrac ceux d’être: écrivain, poète, musicien, chanteur, inventeur, scénariste, ingénieur. Excusez du peu.

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J’ai découvert Boris Vian par hasard. Au détour d’une journée de vide intellectuel pendant laquelle je cherchais les personnalités qui étaient nées le même jour que moi.

Boris Vian est donc né le même jour que moi, c’est-à-dire le 10 mars 1920, au même endroit que moi, dans le 92. Comme Booba aussi. Décidément les Hauts-de-Seine, c’est un département d’artistes. Un artiste, c’est peu dire. Car Boris Vian était un homme accompli. A la fois ingénieur, écrivain, poète, chanteur, critique et musicien de jazz, Boris Vian était ce qu’un étudiant de Sciences Po pourrait qualifier de « transversal dans la pluridisciplinarité ». Pour ceux qui auraient encore des doutes, je tiens à préciser qu’il faisait aussi de la peinture à l’huile, mais la postérité n’a pas gardé un fort souvenir de ses peintures. Peut-être n’étaient-elles pas belles ?

Boris Vian était le fils d’un rentier. Il a donc vécu une grande partie de son enfance dans une famille bourgeoise qui ne faisait rien d’autre que lire et jouer de la musique. Rentrer dans une biographie de l’artiste serait fastidieux et ce n’est pas mon but ici. Il faudra juste noter que Boris Vian a une santé fragile. Il a une crise de rhumatisme articulaire à 12 ans, ce qui entraîne chez lui une insuffisance aortique. C’est un mal qui le poursuivra toute sa vie. Jusqu’à sa mort, en quelque sorte.

“Le jazz est associé à l’amour, à la séduction”

Cette enfance a, d’une certaine manière, déterminé l’œuvre et la vie de Boris. La musique, le jazz en particulier, est omniprésente dans son œuvre. Enfin, peut-être pas dans la peinture à l’huile. D’abord dans ses chansons, mais aussi dans ses romans. Le jazz est associé à l’amour, à la séduction. Par exemple dans l’Ecume des jours, le personnage principal, Colin, est fou amoureux de Chloé, Chloé qui est le nom d’un célèbre arrangement de Duke Ellington. Autre exemple dans J’irai cracher sur vos tombes : le personnage principal Lee Anderson séduit des jeunes filles de seize ans par ses talents de musicien (et aussi par ses muscles, mais c’est une autre histoire). D’autres exemples également dans l’Automne à Pékin, ou bien l’Herbe rouge mais je ne vais pas tous vous les sortir, ce serait extrêmement rébarbatif.

En fait, j’ai choisi les exemples de ces deux livres parce que ce sont mes préférés. L’écume des jours est vraiment caractéristique du style de Boris. On entre dans un monde merveilleux avec des objets incongrus, des animaux qui parlent, des maisons qui bougent et des nénuphars qui poussent dans les poumons de jolies filles. Sous de charmantes apparences, ce livre critique l’industrialisation du travail qui s’étend dans la France d’après-guerre et la religion (à travers l’épisode du mariage et de l’enterrement, l’Eglise apparaît comme cupide et pédophile), mais je ne m’aventurerai pas sur le terrain religieux parce qu’on a déjà suffisamment d’articles à ce sujet, et que “y’en a marre”. Je dirais même qu’on s’en fout, parce que Dieu est un nombre. Effectivement, Dieu = DEUX + i- x. Donc Dieu = 2 + i – x. CQFD. Enfin, cette démonstration n’est pas très satisfaisante intellectuellement parlant, mais je ne me rappelle plus de la suite (cf. le Collège de Pataphysique, auquel participe Boris Vian aux côtés de Jacques Prévert, Raymond Quenaud, André Gide, etc.).

J’irai cracher sur vos tombes est d’un tout autre registre”

Ecrit en deux semaines, J’irai cracher sur vos tombes est d’un tout autre registre. Il est signé Vernon Sullivan, un des pseudonymes de Boris. Il fut censuré aux Etats-Unis. Quand Boris Vian écrit sous le nom de Vernon Sullivan, il pastiche le roman noir américain, avec des expressions en français approximatif qui donnent l’impression d’une traduction bâclée (par exemple les « chats du coin » en référence au cats américain qui signifie « gars »). J’irai cracher sur vos tombes trace l’histoire de Lee Anderson, qui est un noir avec la peau blanche. Dès le début du livre on perçoit le désir de vengeance qui l’habite. On est vite amené à ressentir des sentiments antagonistes envers Lee. Entre compassion et dégoût, on suit son parcours, séduisant des gamines pré-pubères dans une atmosphère fiévreuse, manipulant sans scrupule les sentiments de ses victimes. Même si le livre est écrit au second degré, les scènes de viols ou de meurtres passent difficilement, certains passages sont pratiquement insoutenables « A n’importe quelle heure du jour, ces gosses étaient chaudes comme des chèvres et humides à dégouliner par terre ». Au-delà d’une apologie de la violence, ce roman est surtout une dénonciation du racisme et de l’hypocrisie qui l’accompagne.

Contre son gré, J’irai cracher sur vos tombes est adapté au cinéma et Boris Vian est invité à la première. Il meurt pendant la projection du film. Son cœur, fragile, a lâché.

Lydia Belmekki



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