[Dossier] Islande, une crise démocratique bien silencieuse

Reykjavík

Enfin. Loin d’être sortie du marasme, l’Islande renoue cependant avec la croissance après deux années très dures de récession. Aux portes de l’Europe, ce pays qui compte moins d’habitants que la ville de Metz a été le premier à être touché de plein fouet par la crise des subprimes en 2008. Pour la première fois depuis cette date, Reykjavik annonce  un chiffre de croissance positif pour le troisième trimestre de 2010. Au même moment, le 1er octobre dernier, jour d’ouverture de sa session d’hiver, l’Althing (le Parlement unicaméral) est une nouvelle fois littéralement assiégé par plus d’un millier de personnes, comme une réplique aux manifestations de 2008 qui a vu le pouvoir ébranlé face à la colère de tout un peuple. Comment les Islandais, qui ont vécu dans l’un des pays les plus riches du monde, pouvant encore se targuer du troisième meilleur IDH en 2007, en sont arrivés à remettre en cause leur système démocratique et à repenser leur société ? Etat des lieux d’un pays qui peine à sortir d’une faillite généralisée et cherche à restaurer sa foi dans le futur.

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Tout a commencé par un jour sombre d’octobre 2008. Contaminée par la crise américaine, le système bancaire – sur lequel toute l’économie nationale repose – s’effondre. Privatisé et libéralisé, il s’était développé de façon exponentielle à partir de l’an 2000, alors qu’avant cette date, il était limité et nationalisé en totalité. Les banques empruntaient en Europe, faute de pouvoir s’appuyer sur la monnaie nationale, la couronne islandaise (Isk). La croissance reposait essentiellement sur les dépôts faits via les banques en ligne, provenant essentiellement de Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de l’Allemagne. Son maintien durable était improbable. Suivant les prix de l’immobilier, la couronne islandaise commence dès 2007 à s’écrouler sur les marchés des changes, laissant les banques à court de liquidités, et finalement le pays en quasi-faillite avec la crise. Pour les citoyens qui vivaient dans le rêve du boom économique depuis une décennie, tout a donc commencé – devrait-on dire fini ? – ce 6 octobre 2008, lorsque le premier ministre annonce qu’il va demander l’aide du Fonds monétaire international. Et surtout lorsqu’il termine son allocution télévisée par un obscur et inquiétant : « Que Dieu sauve l’Islande »…

Sur l’année 2009, l’économie recule de 8,5 % et la population diminue de 6 000 personnes en 2010.

Jusque-là, les Islandais aimaient raconter le miracle que connaissait leur pays. Comment ils avaient quitté la pêche dans l’hiver arctique pour se lancer dans le commerce, l’immobilier, le secteur bancaire, et vivre à crédit. En regardant le discours du premier ministre, ils assistent déroutés à un bouleversement grave et incompréhensible. Du jour au lendemain, des milliers de personnes perdent tout, sauf les emprunts, dont le montant triple pour certains, qui ne vivent plus que pour payer les traites de leur maison ou de leur voiture. Impossible de les vendre : leur valeur est souvent inférieure à leurs créances… et personne n’a d’argent pour les acheter, sans compter que le nombre de projets immobiliers entrepris avec le boom économique, de 2004 à 2008, a été considérable. Dans le pire des cas, on fait appel à de nouveaux crédits car les salaires ne suffisent plus à couvrir les intérêts : crédit conso, crédit revolving… Les patrons sont forcés de licencier et nombreux sont ceux, qui tout en envoyant des lettres de protestation au gouvernement et au FMI, ferment leur entreprise. Là aussi, personne pour les reprendre. Le marché du travail s’en trouve bouleversé, à commencer, logiquement, par la construction. Ce qui a un impact à long terme : il est alors impossible pour l’Islande de mettre en place des projets massivement créateurs d’emploi, via une politique keynésienne de grands travaux, par exemple. Les chômeuses reprennent le chemin des ateliers de découpe des pêcheries, où depuis des années, des immigrées polonaises ou philippines travaillaient à leur place. Jusqu’à ce que le pays sombre et que ces ouvrières fuient à la recherche d’un nouvel eldorado. Sur l’année 2009, l’économie recule de 8,5 %. Chiffre symbolique : pour la première fois depuis 1889, la population a diminué : six mille personnes ont quitté le pays en 2010 pour se réfugier en Norvège, en Pologne, au Danemark et en Suède. Beaucoup de ces exilés sont issus de l’immigration. 80  % ont moins de quarante ans.

L’agitation après l’effondrement

Très vite, l’abattement fait place à la colère. Le peuple endormi se réveille du cauchemar. Réagit. S’interroge. Débat. Tout le monde cherche des réponses pour essayer de comprendre comment un pays aussi riche et développé a pu en arriver là. Des scandales éclatent : la collusion des pouvoirs politique et économique (et notamment de scandaleux prêts préférentiels au profit de certaines personnalités politiques), l’opacité des décisions, les affaires de délits d’initiés sont autant de raisons qui entraînent une véritable crise de confiance en la représentativité du système. La déroute économique et financière figure bientôt comme une opportunité pour les Islandais d’interroger leur démocratie. Et de se révolter. Ils se sentent trahis et le font savoir. Chaque samedi, à partir du dernier trimestre de 2008, des manifestations ont lieu, atteignant leur paroxysme pendant les journées des 20 et 21 janvier 2010. Dans les rues habituellement paisibles de la capitale, Reykjavik, des milliers de personnes se rassemblent devant le Parlement afin d’empêcher l’ouverture de la session parlementaire. Les membres du gouvernement sont hués et des groupes d’étudiants parviennent à franchir les lignes de police. Les pierres volent tandis que les manifestants clament leur colère en frappant sur des récipients de cuisine… La nuit, des feux de joie sont allumés au beau milieu de la rue. Ce qu’on baptise rapidement « la révolution des casseroles » force les gouvernants discrédités à démissionner, laissant la place à l’actuelle coalition.

Le parlement a refusé de distinguer la faute pénale et la faute politique, exposant de fait des décisions prises par un ancien chef de gouvernement au jugement d’un tribunal.

En avril, après plus de soixante ans de règne sans partage par la droite et le centre (mis à part quelques coalitions gouvernementales), l’Alliance des partis de gauche Samfylking remporte en effet les élections législatives anticipées, alors même que le « rapport vérité » de la commission d’enquête parlementaire sur les causes de la faillite du système bancaire dénonce l’extrême négligence de l’ancien premier ministre, Geir Haarde. Celui-ci sera d’ailleurs mis en examen et jugé par la Haute Cour (Landsdomur), suite à un vote du Parlement. Une première. D’autant que l’Althing a refusé de distinguer la faute pénale et la faute politique, exposant de fait des décisions prises par un ancien chef de gouvernement au jugement d’un tribunal. Le parti social-démocrate (membre de l’Alliance) de l’actuelle premier ministre Jóhanna Sigurðardóttir  s’est profondément divisé sur cette décision de l’Althing, certains la critiquant amèrement étant donné que pour eux le vrai responsable de la situation reste Davið Oddsson, premier ministre entre 1991 et 2004, puis directeur de la Banque centrale islandaise. Cet homme politique, sorte de Margaret Thatcher islandais, s’est employé à mener la libéralisation économique de son pays à marche forcée quand il était  la tête du pays. Un vote discret du Parlement créant une prescription de trois ans quant aux actes politiques lui a permis de rester hors d’atteinte de la justice : visiblement, l’homme a conservé des amis dans les rangs, et pas seulement parmi les membres de son parti, le Parti de l’Indépendance, au pouvoir jusqu’en 2009… Quoi qu’il en soit, Geir Haarde semble « payer » à la place de Davið Oddson.

Le pouvoir constituant par les casseroles

Depuis la campagne électorale, l’une des promesses de la gauche était de charger le peuple de réécrire la Constitution via un panel élu de citoyens ordinaires, si elle remportait la majorité des suffrages. Par ce biais, l’objectif est de restaurer le contrat social entre les élites politiques et la nation, la confiance, la démocratie citoyenne. Mis à mal par deux années de crise économique et politique, les principes fondamentaux de la démocratie islandaise ont besoin d’être non seulement réaffirmés, mais bien renouvelées, voire créés afin de reconstituer le lien politique. Après la victoire de l’Alliance, fin novembre, cinq cents personnes de la société civile, professeurs, pêcheurs, commerçants, se portent candidats pour faire partie de la prochaine Assemblée chargée d’écrire une nouvelle Constitution, une première depuis la rédaction copie conforme de celle du Danemark – avec le président à la place du roi – lors de l’indépendance du pays en 1944. Vingt-cinq personnes sont élues pour élaborer un projet constitutionnel qui sera soumis à  référendum. On envisage un bouleversement du rôle des institutions, la garantie de l’indépendance de la justice, la promotion de la participation directe des citoyens à la démocratie, notamment via la procédure du référendum. Alors, une IIe République pour une île décidément bien étonnante ? Pas si simple. D’une part, la déconvenue est grande le 27 novembre, le jour du vote : la désignation des membres de l’Assemblée déplace moins de 40% des électeurs, nouveau signe de la désaffection des islandais à l’égard de leur classe politique, qui se déchire sur les négociations avec l’Union Européenne. Alors même que les partis n’ont pas le droit de s’engager dans la campagne. D’autre part, un nouveau revirement fait changer la donne le 25 janvier dernier. La Cour suprême annule l’élection de la Constituante, alors que selon la loi constitutionnelle adoptée en juin 2010 par l’Althing, celle-ci devait entamer ses débats à partir du 15 février, et ce pour une période s’étalant entre deux et quatre mois. Le motif de l’invalidation de l’élection tient à plusieurs incertitudes concernant les conditions d’organisation du vote, précisément sa confidentialité : le vote n’a pas été secret, et plusieurs erreurs et soupçons ont entaché le scrutin.

Perte de crédibilité

Ces derniers mois, les grands secteurs économiques ont montré des signes d’assainissement. Mais en novembre dernier le Bureau des Statistiques a publié une étude très éclairante, d’où il ressort que la situation des familles n’a fait qu’empirer depuis 2008 : en 2010, 10% des ménages ayant emprunté pour financer l’achat d’un bien immobilier ou devant payer des loyers ont eu à ce moment ou à un autre des difficultés pour honorer leurs échéances, contre 5,5 % en 2008 et 7 % en 2009. De même 13,3 % des ménages ayant souscrit un emprunt autre qu’immobilier ont eu de difficultés à rembourser, contre 10,3 % en 2009 et 5,5 % en 2008. Au total le nombre de ménages ayant du mal à « joindre les deux bouts » atteint près de 50 % en 2010 contre 30 % en 2008. Et c’est le cœur de la population active, les trentenaires et quarantenaires, qui est le plus touché.

Bien évidemment, les réponses à ces enquêtes sont subjectives, mais l’évolution d’une année à l’autre reste significative et apporte une part d’explication à des comportements pour le moins inhabituels en Islande, alors que le gouvernement annonce la fin de la crise depuis des mois – et que dure depuis trop longtemps, selon l’opinion, la poursuite judiciaire de ceux qui se sont indûment enrichis et sont responsables de la débâcle financière. En octobre dernier, d’importantes manifestations sont venues traduire la colère et l’angoisse partagées par la population. Le 4, ce sont plus de 4000 personnes (8000 selon certains) qui encerclent l’Althing. Il s’agit cette fois non plus de renverser le gouvernement en place, mais d’avoir une réponse pour les ménages submergés par les dettes. Avec le chômage rampant, l’endettement de ces derniers, notamment ceux qui ont souscrit des emprunts en devises, reste la conséquence la plus sensible et la plus préoccupante de la crise.

Face à la désastreuse situation des ménages, le gouvernement, préoccupé par les problèmes d’immobilier et de faillite personnelle, n’est pas inactif, mais veut associer l’opposition parlementaire à la recherche de solutions. Celle-ci, qui souvent se plaint de ne pas être consultée, est peu pressée de s’engager sur un terrain glissant tant sont fortes et légitimes les revendications, et faibles les moyens d’y répondre. Un accord entre le gouvernement, les banques et les caisses de retraite s’est finalement réalisé le 3 décembre, concernant 60 000 ménages, selon le premier Ministre, Jóhanna Sigurdardóttir. Il permet notamment de réduire sensiblement les emprunts dont le montant restant à rembourser est supérieur à 110 % de sa valeur du bien financé. Le coût de l’opération est estimé à 100 milliards d’Isk, soit 800 millions d’euros.

Imbroglios européens

Suite à la crise financière brutale, l’Islande a déposé en juillet 2009 une demande de candidature à l’UE. La question du transfert de souveraineté vers les organisations internationales, qui se pose avec force dans le cadre de cette candidature, s’est même posée à la Constituante. Mais plus que jamais, l’Islande doute de sa possible adhésion à l’Union Européenne. Alors que la majorité du peuple y semblait favorable lors de l’arrivée au pouvoir de la gauche (sauf les pêcheurs et les agriculteurs, nettement contre dès le début), cela ne semble plus être le cas. La population remarque que la situation économique s’améliore beaucoup plus rapidement que celle d’autres pays européens gravement touchés et qui risquent de vivre sous perfusion du FMI pendant longtemps – et par conséquent sous ses sévères injonctions. Elle n’est pas la seule. Selon le Prix Nobel d’économie Paul Krugman, l’Islande s’est relevée plus vite… parce qu’elle n’a jamais adopté l’euro. « Elle a fortement dévalué sa monnaie et imposé un contrôle des capitaux. Il s’est alors passé quelque chose d’étrange : bien qu’elle ait traversé la pire crise financière de l’Histoire, elle a été bien moins lourdement sanctionnée que d’autres nations ». Quant aux partis, celui de l’Indépendance est farouchement opposé à l’adhésion, tandis que dans la coalition au pouvoir, les Verts, aussi favorables que méfiants, sont dans l’expectative des négociations finales, même s’ils sont bien plus préoccupés par les débats environnementaux internes. En effet, des projets de centrales hydroélectriques suscitent en ce moment de virulentes contestations. La question de la protection et l’utilisation des ressources naturelles nationales a toujours été sensible en Islande, tant la nature est considérée comme une richesse inestimable.

Malgré la rapidité inattendue du relèvement économique de l’Islande, l’endettement des ménages et la lenteur de la reprise des investissements inquiètent.

L’inflation paraît bien maîtrisée, l’Isk  reste stable, le commerce extérieur est largement excédentaire, le chômage diminue fortement. Pourtant, tout en soulignant la rapidité inattendue du relèvement économique de l’Islande, les rapports des analystes de l’UE et du FMI ne manquent pas de relever les menaces qui demeurent. Les premiers insistent sur le niveau élevé de l’endettement des ménages et les incertitudes du jugement de la Cour suprême sur les emprunts indexés sur les devises, alors que les seconds s’inquiètent de la lenteur de la reprise des investissements. La ministre de l’Industrie, Katrín Júliíusdóttir, a expliqué aux producteurs d’aluminium (une des industries majeures du pays) que si les projets et les demandes ne manquent pas, les financements sont difficiles à trouver, à la fois parce que l’Islande n’a pas une bonne image sur les marchés (notamment à cause de l’affaire Icesave) et à cause des contraintes résultant du contrôle des changes. Le rapport de l’UE ne parle pas uniquement d’endettement, mais relève des points de divergence entre la situation islandaise et les souhaits de l’UE pour ce qui concerne les règles sous-jacentes à l’économie (marché du travail, mouvements de capitaux, droits des sociétés, propriété intellectuelle, etc.). Deux malentendus  fondamentaux apparaissent alors. Premièrement, la négociation porte non sur ces règles, mais sur les conditions dans lesquelles l’Islande va s’aligner sur elles. Deuxièmement, l’Union demande que cet alignement, qui de fait est entamé depuis l’adhésion de l’Islande à l’Espace Economique Européen en 1992, se poursuive… alors que les « négociations » sont en cours.

L’opposition ne manque pas de mettre ces malentendus en évidence. Elle dénonce l’utilité d’un référendum trop tardif sur l’intégration, alors que l’Islande aura pleinement entamé le chemin de l’Union. Relevant cette absurdité, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Ögmundur Jónasson, a demandé que l’on négocie sur les points principaux, pêche et agriculture, et que le référendum ait lieu sous deux mois au vu des résultats obtenus. Cela réduirait selon lui le coût de négociations qui mobilisent un grand nombre de personnes. Le parti de Jónasson, la Gauche Verte, censé faire partie de la coalition, s’est même réuni le 20 novembre pour statuer sur le dépôt d’une proposition de loi prévoyant l’arrêt des négociations. Le texte est finalement repoussé, mais le ministre continue à comparer la situation des Islandais à celle des Indiens d’Amérique vendant les ressources de leur pays « contre des perles et du parfum », n’exprimant là qu’une idée largement répandue.

Il faut souligner à cet endroit que les Islandais réagissent comme une communauté, ce qui n’est guère surprenant. Les habitants se voient comme un groupe de personnes de ce qui n’est qu’un petit village à l’échelle de l’Europe, partageant des biens inestimables – en premier lieu la nature – et refusant d’aliéner ses ressources – élevage et pêche – qu’ils considèrent comme une assurance pour faire face aux vicissitudes potentielles. Evidemment, le comportement de l’UE pendant la crise et aujourd’hui encore à propos des quotas de pêche des maquereaux et des cabillauds (et donc des morues) ne peut les rassurer et donne aux opposants plus d’arguments que nécessaires…  Mais surtout, il reste l’épineux écueil de la pêche à la baleine, économie vitale et surtout symbole d’une certaine souveraineté, comme pour la Norvège, elle aussi non membre de l’UE. Alors que cette dernière interdit une telle pêche, le Japon, premier consommateur mondial de viande de baleine, a encore acheté en novembre dernier 631 tonnes de baleine islandaise, soit 15% de sa consommation annuelle…

La « saga Icesave »

Reste que le principal point d’achoppement entre l’Islande et l’UE reste l’affaire Icesave, cette banque d’épargne en ligne détenue par la Landsbanki, une des trois banques nationalisées en hâte par le gouvernement en octobre 2008. Juste avant l’effondrement, les activités de ces succursales à l’étranger ont servis à alimenter les besoins de financement d’une économie vorace en devises. Selon le fameux adage « on privatise les gains et on nationalise les pertes », l’Etat a récupéré toutes les créances avec la nationalisation des banques et doit dorénavant à 425 000 clients britanniques et hollandais (deux pays étrangers où opérait principalement Icesave) le remboursement de leurs dépôts. Le vote de l’Althing de septembre 2009 prévoit ainsi un montant de 3,9 milliards de dollars perdus dans les comptes d’Icesave, soit cent euros par habitant et par mois pendant huit ans. Le mois suivant, sous la pression populaire, le président Ólafur Grímsson, en mal de popularité, pose son veto en refusant de signer le texte, et décide d’en soumettre l’adoption au peuple par référendum.

Le redressement rapide du pays ? « La différence est qu’en Islande nous avons laissé les banques faire faillite. L’Etat n’a pas à assumer cette responsabilité » explique le président  à Bruxelles.

L’affaire Icesave démultiplie le sentiment d’injustice des Islandais qui, déjà ruinés, trouvent le remboursement indécent, d’autant que la Grande-Bretagne a proposé un prêt avec un taux d’intérêt largement plus élevé que la normale (5,5 %). 93% répondent « non » en mars 2010. Un défi sans appel à la pression internationale, car les directives européennes déclarent que le pays est tenu de rembourser la facture. Même la Suède et la Finlande, soutiens habituels de l’Islande, ont fait pression pour qu’elle s’engage à payer, condition nécessaire afin de recevoir des aides. Avec le refus massif du peuple lors du référendum, l’Islande a achevé de ruiner sa crédibilité internationale. Mais la fermeté finit par payer : Londres, préoccupé par le remboursement, a fini par accorder des concessions notables : le plan définitif de décembre 2010 est beaucoup plus avantageux pour l’Islande, qui a su renégocier des exigences. Le taux d’intérêt passe à environ 3 %, et le remboursement est étalé cette fois sur trente ans ! Ces pays disposent tout de même de quelques moyens de rétorsion  sur l’Islande, et pas des moindres : bafouer sa zone économique d’exclusivité concernant la pêche, ou opposer leur veto à toute aide provenant du FMI. Ce qui n’empêche pas le président islandais, de comparer la situation islandaise et celle de l’Irlande. En décembre dernier à Bruxelles, malgré la menace de l’isolement international évoqué par certains, Grímsson a encore fait grincer des dents en mettant le redressement plus rapide de son pays sur le compte du refus de rembourser ses créanciers : « La différence est qu’en Islande nous avons laissé les banques faire faillite, a-t-il expliqué. C’étaient des institutions privées ; nous n’y avons pas injecté de l’argent pour les maintenir à flot. L’Etat n’a pas à assumer cette responsabilité ».

Affaire à suivre

A l’horizon 2012, les Etats de l’Union Européenne auront le dernier mot pour évaluer la capacité de l’Islande à remplir les critères d’adhésion, notamment économiques. On sait d’ores et déjà que la décision dépendra clairement du résultat d’un deuxième référendum, prévu dans le courant de l’année, à propos de la nouvelle « loi Icesave », que le président a encore une fois refusé de signer. Mot d’ordre des pays concernés : pas de soutien à la candidature sans promesse de déblocage du remboursement. Dernièrement, 1e premier ministre a assuré que de nouvelles élections pour la formation d’une Assemblée constituante auront lieu prochainement, mais les modalités ne sont pour l’instant pas définies. En attendant, force est de constater qu’un « silence assourdissant » accompagne depuis deux ans ces évènements islandais pourtant dignes d’être remarqués et soulignés. Les médias et les gouvernements entretiennent soigneusement une sorte d’omerta sur les conséquences d’une situation de crise que pourrait pourtant connaître d’autres nations européennes dans un avenir proche. Les référendums à propos des « lois Icesave » et l’élection, temporairement compromise, d’une Constituante au suffrage universel direct, constituent des exemples inédits  d’une véritable redéfinition du contrat social entre gouvernants et population civile. Mais cette réaffirmation de la souveraineté populaire ne fait pas vraiment l’affaire de ceux qui pensent qu’une population toute entière, qui a certes bénéficiée plus ou moins du boom économique, doit assurer la responsabilité de la faillite des banques privées. Des internautes exaltés ont sûrement tort de parler exagérément d’une « révolution anticapitaliste », mais dénoncent à juste titre une « merveille de la désinformation ». Comme un silence gêné de savoir qu’un pays minuscule puisse donner à ses voisins européens une grande leçon de démocratie.

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Sébastien MARREC (1A), membre de l’association France-Islande et étudiant à Sciences Po Rennes.

Avec la collaboration de Marie LEROY (4A), correspondante, stagiaire à l’Ambassade de France en Islande en 2009 – 2010. Merci également à Herman MOSTERMANS, ancien consul d’Islande à Bordeaux.

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4 commentaires

  1. Pierre dit :

    Un très bon article ; le style est vraiment agréable. La partie qui traite du « renouvellement constitutionnel » et de l’Assemblée Constituante – les modalités d’élection notamment – est particulièrement intéressante : qu’en est-il depuis l’invalidation des élections par la Cour Suprême islandaise en janvier dernier ?

    • admin dit :

      Question transmise à l’auteur; il y répondra en fin de semaine !

      • Sébastien dit :

        Désolé pour l’oubli… Alors les Islandais ont voté une seconde fois « non » une seconde fois, lors du deuxième référendum, le 9 avril dernier. En février, deux tiers des sondés approuvaient le nouvel accord, reconnu comme un sensible progrès. Des députés du parti de l’Indépendance avaient voté non… ainsi que certains de la Gauche verte lors du vote du texte. Néanmoins tous les partis appelaient à voter « oui ». Le peuple islandais a voté « non » à 60%. D’après un article de Gérard Lemarquis du Monde, « la population est abasourdie par son audace » (http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/04/12/rejet-de-l-accord-icesave-les-islandais-s-interrogent-sur-leur-audace_1506651_3234.html. Pour l’instant, la note de l’Islande n’a pas été abaissée par les agences mondiales de cotation. Cependant, on s’interroge sur la poursuite des relations avec le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Les négociations avec l’UE continuent, cependant elles sont un peu entachées par la « guerre du maquereau », les pêcheurs ayant augmenté les quotas passant outre l’avis de l’Union. Jon Bjarnasson, le Ministre de la Pêche, est farouchement hostile lui-même à une régulation européenne.

        Dans le même temps, l’Islande continue sa route vers la sortie de crise, dont la rapidité suscite l’attention de certains commentateurs. L’excédent commercial a augmenté de 31% entre 2009 et 2010, les exportations ont progressé donc, l’excédent de la balance des biens est services représente un milliard d’euros. Seule ombre au tableau : le chômage, faute de rapides projets industriels semble-t-il.

        Pour ce qui est de l’assemblée constituante, on s’interroge sur les suites : va-t-on abandonner le projet ou procéder à un nouveau scrutin ? A ce jour ce serait plutôt la création d’une commission spéciale qui serait envisagée, dont seraient membres les 25é élus de novembre.

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