Brel/Stromae : Formidable leçon d’émotions belges

Plan com ou génie créatif ? Stromae n’a pas laissé grand monde indifférent avec son nouveau titre Formidable et ses paroles percutantes. Quand certains n’y voient qu’un plan com bien huilé, d’autres s’intéressent aux paroles et à l’artiste, et n’hésitent pas à tirer quelques audacieuses comparaisons avec un autre plat-paysien célèbre.

Stromae s’est (enfin) résigné à ne plus danser ; il boit. Pensait-on. Mais Stromae a finalement suscité un vif émoi sur les réseaux sociaux, après avoir notamment livré une prestation stupéfiante sur le plateau hérissé de Frédéric Taddeï. Depuis les réactions foisonnent. On aime beaucoup, ou beaucoup moins. On crie au génie ou au scandale. Dans une époque où l’espace-temps est infime et les passions éphémères, on vit un épisode franchement clivant, digne du mariage homosexuel, en moins de 24h.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=G82fagpuPRc[/youtube]

Certains évoquent alors Brel et les accusations d’hérésie s’ensuivent : « Comment peut-on si facilement évoquer l’héritage sempiternel du Grand Jacques ? »

Serait-ce pour ces bras interminables qui s’agitent et qui aident cet interprète à exprimer son texte sans feindre ni tricher ?
Serait-ce alors pour cette émotion communicative qui émane d’une trop longue carcasse, quelque peu gauche, mais dont la gestuelle hésitante apparaît si expressive ?
Peut-être que certains se sont laissé porter par un timbre et un phrasé qui depouis hier nous ont rappelé quelques souvenirs d’un pays plat où les voix ne le sont pas ?
Se pourrait-il, enfin, que d’autres aient pu retrouver dans ce texte les plus tristes méandres de l’amour vain, chantés en tous lieux et pendant des décennies par le plus célèbre des belges francophones ?

Il n’y a pas lieu de comparer une œuvre extraordinaire avec une simple chanson qui reste loin du sublime des vers de Brel. Qu’importe ! La fraîcheur de Formidable n’enlève rien au mérite de son succès. Pourquoi ne pas imaginer tisser quelques liens entre ces deux artistes, dont l’un restera céleste et l’autre demeure encore trop terrestre ?

L’Amant miséreux
Première similitude : les caractéristiques de ce personnage touchant et pathétique. Chacun est libre de s’y identifier les soirs de solitude et de détresse, chacun est libre de s’en moquer les jours d’extase et de liesses.
Ces amants miséreux se plaisent à rêver de la douceur de l’amour qu’ils éprouvent pour la Femme impitoyable qui, nourrie par des réalités trop humaines, se détache inéluctablement de l’engagement total qui constitue une fausse idée d’un Amour chimérique.
Mais demain, Brel continuera d’attendre Madeleine, du lilas plein les bras et veillant à ne pas manquer le tram 33… Il y a là une première divergence qui témoigne de l’insatiable croissance du pessimisme contemporain.
Si l’espoir téméraire de voir rejaillir le feu de l’ancien volcan ne quitte pas Brel, on ne retrouve pas les mêmes perspectives heureuses dans la leçon qui n’en pas une, et seule la filiation semble aujourd’hui être une source éventuelle d’un bonheur formidable. Mais désire-t-on vraiment que l’on nous donne un bébé singe à notre triste image ?

Les Autres
La conception de leur mal-être se façonne nécessairement par rapport aux Autres, puis l’expression de ce mal-être jaillit tôt ou tard à la gueule des Autres.
Ces gens-là sont devenus une bande de macaques. Stromae en veut aux saints quand Brel dénonce ceux qui prient mais ne pensent pas. Ils sont toujours là, les témoins d’une existence, qu’ils jugent dans une passivité déplorable et qu’ils enfoncent dans un rire condamnable. Ils ne semblent guère tourmentés, bien que sûrement ignorants. Ils se complaisent dans une norme pauvre mais qui paraît apaisante.
On finit par les envier, juste un peu. On les envie comme jalouserait presque une colonie d’imbéciles heureux.
Peut-être ne sont-ils pas si mauvais, mais qu’importe : les Autres ne cesseront d’être la cause de notre tourment que lorsque nous aurons cessés d’être tourmentés.

L’illusion du bonheur passé
Pour clore une liste qui ne demanderait qu’à être prolongée, on peut relever la même évocation nostalgique d’un bonheur passé, qui n’était finalement qu’une illusion puisqu’il couvait déjà des blessures qui finirent par se révéler.
On regrette ici une relation fooormidable mais qui pouvait difficilement durer : comme elles le font chaque fois, les grands minables, elles finissent toujours par les larguer.
On chante là des mots insensés qui, malgré l’abandon de soi, ne seront d’aucune utilité puisqu’elle finira sans nul doute par nous quitter. Au suivant ! l’entend-on déjà murmurer…

Mais une fois encore, nos jours apparaissent plus sombres qu’à l’époque de Brel. Cette belle époque où de l’aube claire jusqu’à la fin du jour, les vieux amants s’aimaient encore.

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Aurèle Coulougnon – 5A Sciences Po Strasbourg



3 commentaires

  1. Whaouh.. au-delà de toute comparaison, c’est une vrai performance que nous livre là Stromae. Il arrive même à nous faire sentir mal à l’aise.

  2. guy dit :

    Je ne connaissais pas mais j’avoue que les poils se hérissent ! bravo « maestro! »

  3. tournier dit :

    Evidemment qu’il y a filiation. On n’est pas dans le copié-collé mais dans un hommage qui sait garder ses distances à Monsieur Brel. Je suis sur que ce dernier l’aurait adoubé.
    Bravo mec…


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