Ni oui ni non ?


J’ai déniché dans la bibliothèque familiale un livre qui prenait injustement la poussière. Un ouvrage de Jean-François KahnLes rebelles : celles et ceux qui ont dit non. Un titre évocateur, qui ne nous invite pas seulement à nous rappeler de Gaulle, Gandhi ou Galilée : un titre qui nous invite surtout à nous interroger sur le « non » lui-même.

Le « non », sa vie, son œuvre, son histoire, sa signification, son utilisation à travers les âges. Il y a de nombreuses manières de dire non : au quotidien ou exceptionnellement, à des idées ou à des actes, aux transformations futures ou aux reproductions du passé…

Il y eut le non de combat, le non de Mandela à l’apartheid. Le non référendaire à l’Europe en 2005. Le non de non-reconnaissance pour la Chine de Mao. Non…au nom de quoi ?

Au nom de ce que l’on croit vrai, au nom de ce que l’on croit juste. Un vrai « non » est un nom qui porte en lui le changement, ou en tout cas sa volonté ; un vrai « non » suppose une croyance en autre chose que ce qui existe. Ainsi, derrière un vrai « non » de rébellion se cache toujours un oui. Pour rester couleur locale, le non  de Victor Schoelcher à l’esclavage était surtout un oui à la liberté et à la dignité humaine.

Le non est devenu aujourd’hui…de bon ton. Volontés – ou plutôt, velléités- de réforme du système et incroyance dans les institutions furent un temps révolutionnaires ; elles sont devenus petites-bourgeoises.  A différentes périodes de notre histoire, elles ont marqué des volontés de rupture et sont aujourd’hui consensuelles. Un non consensuel ? On ne change pas les choses à coups d’oxymores.

Grèves et manifestations se succèdent : partout des pancartes proclament « non » en lettres capitales, emmenés par des citoyens armés de mégaphone.  Mais sur quelles valeurs s’appuie ce non , s’appuient ces non multiples ? La défense des retraites ou celle des effectifs de l’Education nationale ? Sans doute, mais ce sont des valeurs propres à un groupe, des valeurs contingentes, ni générales ni universelles. Un non divisé, un non répétitif, un non en tout cas…non fédérateur.

Ne risque-t-on pas d’ailleurs d’émousser la portée de ce formidable outil qu’est le non en en usant à tort et à travers ? A la manière du garçon qui criait au loup, ceux qui affirmeraient un refus bien légitime en cas de force majeure ne seraient peut-être pas entendus. Ou pas davantage, en tout cas, que ne le furent ces derniers jours les employés de la SNCF.

Le  non  français au système est mou, cynique. Ce n’est pas un refus, c’est un désenchantement. On dit  non  aux réformes d’un système dans lequel on ne croit plus, si on y a jamais cru. On dit non aux réformes d’un président auquel on avait pourtant dit oui.

Et lorsqu’on dit oui  au PS lors des régionales, n’est-ce pas pour mieux dire non à la majorité UMP qui gouverne ? Outre-Atlantique, le oui  à Obama ne fut-il pas avant tout un non à l’administration Bush ?

Si derrière chaque véritable non devrait se cacher un oui, c’est finalement aujourd’hui derrière chaque oui que se cache un non.

Mal du siècle ? Peut-être. De Gaulle a eu Vichy et l’occupation allemande, Galilée l’obscurantisme religieux, Gandhi le colonisateur. Le peuple aime à dire non ; encore faudrait-il que notre génération eût un cheval de bataille autrement plus symbolique que le régime des retraites.

Morgane Pflieger – IEP Strasbourg ((L’opinion développée n’engage que ses auteurs et non pas la rédaction.))



1 commentaire

  1. Alice dit :

    N’étant par ailleurs pas tellement d’accord avec cet article, je me permets juste de signaler que si on se sort un petit peu l’esprit des problématiques franco-françaises, on est quand même une génération qui semble trouver pleins d’idéaux pour lesquels lutter, et pleins de combats à mener. En vrac : mondialisation, écologie, désarmement nucléaire, féminisme, égalité des chances, racisme, protection des réfugiés, néo-colonialisme… Qu’on les soutienne ou pas, elles restent malgré tout symboliques de notre époque, je crois.
    NON (celui-là, c’est cadeau) les chevaux de bataille ne se résument pas qu’à ce qu’on trouve en France. Ouf !


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