Constellation Records : Rencontre du 3ème type

Le label indépendant, fondé à Montréal en 1997, a pour but de réconcilier les esthètes mélomanes avec l’industrie du disque, à l’ère d’une vulgarisation 2.0 menée tambour battant par l’ensemble des plate-formes de téléchargement sous l’égide des grand trusts. Estampillée post-rock, ce qualificatif ne semble être qu’un grossier raccourci tant la petite structure du Grand Nord s’emploie à rassembler des univers musicaux aussi éloignés qu’originaux : elle compte parmi ses chefs de file de nombreux O.M.N.I. (Objets Musicaux Non Identifiés), des Silver Mt Zion à feu Vic Chesnutt, en passant par Clues et Godspeed You! Black Emperor.

Mais les « stars » de Constellation brillent de leurs plein feux dans une profonde obscurité. Trop peu connus dans nos vertes contrées, ces artistes tournent régulièrement dans des petites salles de l’Hexagone en catimini, dans le respect d’une éthique underground, oscillant constamment entre confidentialité et trop timides coups d’éclat.
L’anonymat, autrement dit le secret comme moyen d’expression, quoi de plus atypique pour un label musical mettant en avant des groupes pour le moins bruyants voire bruitistes ? Ainsi, Constellation Records ne se peut se résumer en une simple entreprise indépendante, occupée à assurer sa survie au milieu d’un business moribond : le travail du collectif canadien s’entend comme le corps fédérateur d’une conception anachronique mais néanmoins ambitieuse de l’artmusical. Portrait d’un paradoxe sonore.

Le « climategate » annoncé depuis quelques années déjà sur la planète CD a changé la donne sur la galaxie Musique, redéfinissant les tenants et les aboutissants d’un système en crise. A titre d’exemple : en France, le SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique) avait annoncé en septembre 2009 une chute de 63 % des ventes physiques de musique depuis 2003 alors que la progression des ventes numériques ne semble toujours pas prête à combler le manque-à-gagner.

Le label, fidèle à ses convictions, a choisi une politique au premier abord suicidaire, en prenant le pari de vendre uniquement des tirages limités assez onéreux et occasionnellement disponibles dans la grande distribution culturelle afin de privilégier le travail d’une main d’oeuvre locale, pour la production manuelle de « packaging » d’une beauté rarement égalée. Son but est simple : retrouver l’essence d’une oeuvre musicale dans son support et par extension questionner la valeur intrinsèque d’un produit artistique, au-delà de logiques économiques trop terre-à-terre. Constellation Records se propose d’élargir l’horizon de la consommation musicale depuis maintenant une bonne dizaine d’années et n’est pas encore menacé par la faillite. Certains de ses artistes sous contrat sont même plus radicaux, n’hésitant pas à prôner un anticapitalisme militant.
Sans aller forcément jusque-là, la philosophie de ce label a au moins le mérite de remettre en cause la mainmise des majors tout comme le modèle économique actuel de l’industrie musicale. En marge d’une standardisation galopante, l’entreprise canadienne a le culot de conceptualiser le caractère unique, si ce n’est sacré, du produit musical. Cette prise de risque passe par un renoncement tacite à une sur-exposition médiatique et donc par un faible rayonnement de son message. Une révolte discrète, en somme. La mission des canadiens invite à repenser l’authenticité du commerce de la musique : étoile-repère au sein d’une scène nord américaine en marge des majors de plus en plus prolifique et inventive, Constellation Records polarise une impressionnante variété de talents et privilégie le travail d’ équipe au carriérisme pathogène, afin de constituer un bloc solide et solidaire, prêt à se serrer les coudes en cas de coups durs. Faire partie de cette aventure nécessite un engagement concret des artistes, contraints à sacrifier leur visibilité en faveur d’un pudique prosélytisme.

La demeure des membres de cette grande famille a un nom : l’« Hotel2Tango ». Située dans le district de Mile End, à la périphérie de Montréal, le quartier général du label est un gigantesque studio d’enregistrement, qui a déjà été foulé par les petits petons d’Arcade Fire, de Moriarty ou de Socalled. A la fois asile provisoire d’une effervescence créative, espace de rencontre privilégié entre producteurs iconoclastes et artistes hardis, et point de rassemblement des curiosités de la scène indépendante, l’ « H2T », pour les intimes, constitue un abri regroupant tous les différents symboles communautaires et moraux, propres aux valeurs véhiculées par le label. Une auberge espagnole en plein coeur du Canada.

2010 : l’odyssée de Constellation Records ?

Quelques fers de lance de l’écurie tournent en France depuis le début de l’année, comme Clues que l’on a pu écouter lors de la deuxième soirée de la dernière édition de la Route du Rock ou encore Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra, à l’occasion de la sortie de leur sixième opus Kollaps Tradixionales. Les prestations live des différents combos du répertoire du label de Montréal sont
toujours impressionnantes. L’occasion de découvrir un univers décalé et déroutant, en studio comme sur scène, et une approche pour le moins audacieuse de la musique.

Maxime Vatteblé, 2A à Sciences Po Rennes



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