Facebook et les autres

Le socialisme selon le Tea Party Wisconsin

Dans les années 50, la télévision évinçait nonchalamment, mais temporairement, la radio et le cinéma comme moyen de diffusion d’images et d’informations de masse. Les gens allumaient, regardaient, éteignaient. Ils ne faisaient pas grand chose sinon de toucher deux fois un bouton à intervalles irrégulières. Dans les années 2000, Facebook est le deuxième site le plus visité au monde et ses graines sont à aller chercher vers une idée saugrenue et sociale d’un jeune américain de Harvard assez visionnaire pour compiler plusieurs facteurs, un algorythme et une discussion. Tout cela pour rendre indispensable deux pages sur fond blanc et ajouter un peu plus tard un minable chat pour que les utilisateurs ne s’en aillent pas. Le tour est joué, tout le monde est présent sur la toile, sur la toile de Mark le nerd. Tout est question de connaissances, de liens, de relations, d’amitiés, de friend request (et d’hormones pour faire simple) mais, au delà de cela, Facebook rassemble. Facebook rassemble près de 500 millions de personnes, d’individus qui se sont hâtés d’entrer sur le réseau social le plus populaire au monde pour pouvoir échanger avec leurs différents cercles d’amis des informations non vitales. En même temps qu’il rassemble, Facebook est le premier réseau social à avoir largement profité du capitalisme : selon un récent classement du magazine américain Forbes, Mark Zuckerberg serait, à 26 ans à peine, la 40ème fortune mondiale avec une coquette somme dans les poches d’environ 25 milliard de dollars. Ajoutez aussi à cela quelques centaines de milliers de dollars sous ses claquettes, espèce rare de “chaussures” qu’il affectionne.

Facebook, le 3ème pays du monde

Le monde est étrange, extraordinaire, contradictoire et paradoxal. D’un côté Mark Zuckerberg, nouveau héros du dernier David Fincher, nouveau personnage au story-telling parfait. Il incarne le jeune adolescent repoussé par une fille vers l’alcool, le temps d’une soirée, qui va réussir à rassembler plusieurs centaine de millions de personnes en l’espace de quelques années sur une page comportant des caractères bleus sur un fond blanc. Au delà du fait que Mark Zuckeberg ait réussi à uniformiser nos vies et à faire de nos relations sociales des statuts de plus ou moins 140 caractères (norme de Twitter), ce jeune (celui que l’on montre du doigt dans nos sociétés actuelles, celui qui chôme, glande, casse mais est super-diplômé) aura eu un jour la bonne idée de rassembler 1/12 de la population mondiale dans un même lieu. Virtuel ou non, propre aux envies hormonales de ses utilisateurs ou non, ce lieu qui est un produit du capitalisme par excellence brasse des dizaines de cultures qui s’y retrouvent en masse et bientôt à la hauteur de géants humains tels que l’Inde ou la Chine. Voilà le résultat positif d’un petit con de Harvard qui aura réussi à créer un outil de socialisation universel, disponible partout à la fois, compréhensible par tout un chacun et formant le troisième pays au monde. Dans cette histoire, David Fincher n’y aura vu que deux procès et un être assez suffisant parlant trop vite pour en faire un film. Ici, il est lieu de comparer cet étrange outil de rassemblement qu’est devenu Facebook avec la réalité.

Car l’Occident, qui aura créé ce produit Facebook, n’est en rien à l’image de cette immense communauté humaine qui se mélange et qui s’expose librement au delà des frontières, sans prendre en compte ces dernières. Rien qu’en Europe (au vu des dernières éléctions nationales, présidentielles ou législatives), sept pays possèdent un parti nationaliste et populiste ayant dépassé les 15% aux dernières élections : la France, la Norvège, les Pays-Bas, la Suisse, l’Autriche, la Hongrie, la Serbie. Et d’autres pays sont sur la même voie, la Suède voyant entrer un élu d’extrême droite au Parlement, les Pays-Bas faisant du parti populiste Parti pour la Liberté la troisième force politique du pays, ou encore la Belgique plongée dans un capharnaüm politique depuis la victoire des séparatistes Flammands aux dernières élections. Tout cela, selon Riva Kastoyano, procède d’un désir de “magyarité, au rétablissement du lien entre peuple, territoire et nation”. Au même moment en Russie, un institut de recherches du ministère russe de l’intérieur comptabilisait 150 groupes néonazis actifs sur le territoire en corrélation avec 370 crimes racistes au premier trimestre 2010 (+ 39%). Encourageant.

Glenn Beck : “C’est le type qui dit tout haut ce que pensent les gens qui ne pensent pas”

De l’autre côté de l’Atlantique, le bilan est tout aussi peu reluisant. Aujourd’hui 3 novembre se sont déroulées les élections à mi-mandat aux Etats-Unis. L’émergence de la mouvance du Tea Party – et de ses idées ultra-conservatrices – qui a vu son influence grandir depuis la réforme de la santé d’Obama est l’exemple parfait de la forme que peut prendre ce populisme américain, populisme pouvant faire croire à une population que son président est un terroriste, un musulman, un homme d’Etat comparable à Hitler. Ce parti populaire va bien au delà du “government is not the solution to our problem; government is the problem” de Ronald Reagan. Ses idées sont populistes, gangrénées par un pantin animateur de la chaîne de télévision ultra-conservatrice Fox News nommé Glenn Beck, lui même soutenu par Sarah Palin, la MILF hystérique la plus connue d’Alaska. La réponse démocrate et modérée est venue bien tardivement de la part de Jon Stewart, fameux présentateur sur Comedy Central, qui dit un jour de Glenn Beck : “C’est le type qui dit tout haut ce que pensent les gens qui ne pensent pas”. À la veilles des élections, le rassemblement démocrate de Jon Stewart fut bien faible au regard de la popularité grandissante des idées du Tea Party. Et le changement est là, les américains ont décidé de retourner la chambre des représentants en donnant notamment leur confiance en Rand Paul et Marco Rubio, deux Tea Partiers.

Le populisme et le nationalisme grimpent lentement en temps de crise économique des deux côtés de l’Atlantique

Ainsi, il y a Facebook, ce mastodonte de pop culture, cette envie de partager notre vie entière dans un monde virtuel regroupant des cultures très différentes provenant de plus de 180 pays. Et de l’autre côté de la barrière virtuelle, il y a cette réalité repoussante et en complète opposition avec le réseau social créé à Harvard : ici, pas de brassage, de “sociabilité”, de rencontres amicales. Ici, le populisme et le nationalisme grimpent lentement en temps de crise économique des deux côtés de l’Atlantique, chacun réagissant par un populisme qui lui est propre, refermant progressivement ses frontières et fustigeant quelques minorités par ci par là. Créé par l’Occident avant la crise économique, Facebook semble malheureusement demeurer la dernière part d’humanité de l’humanité face à ces mouvances grondantes. Ces derniers et leurs idées portent plus sur des cibles que des objectifs : l’immigration, l’islam, le multiculturalisme. Selon, encore, Riva Kastoryano, “il est temps de voir émerger […] une nouvelle forme d’organisation politique qui rassemblerait toute la diversité culturelle et nationale qu’elle incarne”. Et si Facebook en était l’incarnation primaire ?

Article publié par le partenaire d’IEP Mag : Across The Days.

Louis Lepron – Sciences Po Toulouse ((L’opinion développée n’engage que son auteur et non pas la rédaction.))



12 commentaires

  1. Marc dit :

    Euh… Quoi ?

  2. Hélène M. dit :

    Tirée par les cheveux, ton idée… J’ai du mal à voir comment un lieu virtuel où (grosso modo) des gens échangent des commentaires, des photos et des vidéos avec les personnes de leurs choix puisse être ne serait-ce que l’embryon d’une organisation politique.

    • Je ne me faisais pas d’illusion en faisant de Facebook l’antre du melting-pot et du brassage culturel ou d’un embryon d’organisation politique.

      Comme je le souligne dans les premières phrases, c’est plus nos hormones qui nous guident vers Facebook que l’envie de partager avec un chinois à l’autre bout du monde. D’où le fait que je ne me penche pas trop sur le “brassage” dont je parle mais que je ne précise pas. Car si je le faisais, je réfléchirais deux minutes, et me rendrait vite compte qu’il est illusoire et que c’est chacun sa pomme. De plus comme vous le précisez, il existe de nombreux individus/groupes réac’ sur Facebook qui font parfois la part belle à des valeurs franchement honteuses.

      Ce que je voulais par l’article c’était montrer la contradiction entre un monde virtuel carrément ouvert, où tout est possible et disponible, tout est visible, on peut parler à n’importe qui, et un monde réel dans lequel des pays et des populations se referment sur elle même.

      Ce serait tombé bien bas que de voir en Facebook l’embryon d’une orga politique.

  3. Isaac van Poperinghe dit :

    Oh Dude! Tu vas mille fois trop loin!

    1. Facebook n’est pas du tout le lieu ouvert dont tu parles. D’une part parce que l’échange y est très circonscrit: tes amis sont avant tout des gens comme toi et, je me trompe peut-être, tu n’as sans doute pas, énormément de « friends » qui sont de classe sociale ou d’origine très éloignée de la tienne. En tout cas, pas moi. De plus, fb est avant tout un exercice de narcissisme à grande échelle et de plans dragues plus ou moins foireux. La politique y est très limitée, tout comme l’échange d’ailleurs. Comme tu le dis, en 140 caractères, tu n’as pas vraiment de discussions élevés (à part des lol, mdr, like et tag).

    Je crois qu’il y a mille fois plus de convivialité dans un rassemblement du Tea Party que sur fb où l’individualisme est quand même au top.

    Fb est au final l’outil adéquat de la démocratie vue par Tocqueville. On sort le petit cours potassé par le parfait Pipo et on se souvient que Tocqueville disait « Je vois une foule immense d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. »

    2. Le mouvement Tea Party n’est pas vraiment comparable avec le revival nationaliste d’Europe centrale. Glen Beck ne reflète pas le mouvement, tout comme Sarah Palin. Rand Paul a nettement plus d’influence. Il y a un gros débat aux Etats-Unis pour savoir si le Tea Party était raciste ou non et des associations pro-droits de l’homme, anti-racistes etc assez importantes ont conclu que non, le Tea Party n’était pas raciste mais si il avait l’objet d’une tentative d’infiltration. Le Tea Party doit être envisagé comme l’expression du côté anar de droite des américains. (je te donne un point de vue nourri des médias US parce que je suis actuellement en stage en CA et j’ai du analysé, en partie les résultats des élections).

    Donc au final, je pense tu vas un peu trop loin même si l’idée est intéressante (quoique trop profondément optimiste).

    • Bien sûr que Facebook n’est évidemment pas, dans la pratique, un lieu ouvert et que c’est chacun que pour soi. Mais le principe de faire un réseau social l’est. De pouvoir rassembler autant de gens de cultures différentes ça l’est. Dans la théorie bien sûr.

      Et pour le tea party, Glenn Beck et Sarah Palin ne reflètent pas entièrement le Tea Party mais ils représentent cette frange assez nauséabondes auxquelles la majorité des sympathisants du tea party aimerait se débarasser. Celle qui balance beaucoup de mensonge. Après je sais bien que le tea party, et Rand Paul en l’incation, est une mouvance (et non parti) populiste de droite possédant une frange (pas la majorité) d’ultra-conservateur ayant des idées allant dans ce sens. La majorité des américains attirés les idées du Tea Party ne sont bien sûr pas des aficionados anti-avortement, évangélistes ou croyant que Obama est un terroriste. Ils sont simplement, et au regard de l’histoire américaine ça se comprend, méfiant vis à vis de l’intervention de l’Etat. Pas franchement le côté anar, je dirais plutôt le côté trad de la droite américaine qui a perdu quelques repères et se fie plus à un mouvement (bizarrement animé en partie par un animateur tv) qu’à un parti. Et le fait que ce soit un autre présentateur, Jon Stewart, qui lui réponde, montre à quel point les américains sont désormais méfiants du système politique.

      En tout cas, l’article est carrément tiré par les cheveux, ça je le conçois.

  4. Isaac van Poperinghe dit :

    A dire vrai, Sarah Palin n’est pas vraiment vue comme une Tea Partiste ici. Et pourquoi emploies-tu le terme nauséabond? Certaines campagnes tea-partiste mettaient en avant le fait d’avoir des candidats homosexuels etc… Aux USA, la notion de parti est aussi très différente de notre conception européenne en ce sens qu’ils servent quasiment uniquement pour les élections. Donc la frontière est assez poreuse entre les deux structures. Le Tea party a également soutenu des démocrates contre les républicains (dans le sud notamment).

    Enfin, le mouvement Tea partiste est AVANT TOUT un mouvement libertarien (d’où le qualificatif d’anarchiste que j’ai employé) qui se nourrit de toute la pensée anti communiste des années 1950 mais également (et peut-être surtout) des travaux d’un moraliste et économiste français du XVIIIè siècle, Frédéric Bastiat. Il faut se méfier de la caricature que les médias européens font du mouvement.

    • Etienne V. dit :

      La présentation qu’en fait Jon Stewart (/Colbert) tous les jours me suffit personnellement.

      • Etienne V. dit :

        Et j’ai plutôt l’impression qu’il n’y a au contraire plus que les européens pour croire que le Tea Party est de près ou de loin libertarien.
        Ici (US), plus grand monde n’a d’illusion sur le fait que le Tea Party se part de libertarianisme mais défend en fait des idées très conservatrice et n’a pour seul et unique but que de contrer Obama et d’implanter l’idée que le problème, c’est le gouvernement (principalement pour servir les intérêts des plus riches et non pas pour assurer les libertés fondamentales des citoyens américains).

        Ils « défendent ce que pensent tout bas ceux qui ne pensent pas ». Du populisme, très différent du libertarianisme.

        • Tiens donc! Et en quoi vouloir se débarrasser du gouvernement, ou le réduire au minimum (minarchisme) est conservateur ? C’est très reaganien sur la perspective, ou thatcherien si on adopte la perspective d’ici (Royaume-Uni), mais cela n’est pas, fondamentalement, conservateur. Après, peut-être que cela est davantage néoconservateur, mais il ne faudrait pas tout confondre. En tant que conservateur, je rejette le Tea Party comme une bande d’hystériques irraisonnés dont les politiques économiques n’entraîneraient que des désastres, après il est certain que l’administration Obama est un cataclysme économique, mais ce n’est pas une compétition. Conservateur sur le plan social, certainement, quoique certaines de leurs positions économiques ont des ramifications sur le plan social qui laissent supposer que ce n’est pas tellement le cas (libre-échange par exemple). Sur le plan économique, je ne vois strictement rien de conservateur dans ces doctrines. Je suis plutôt en accord avec ceux qui les qualifient d’anarchistes de droite.

  5. Isaac van Poperinghe dit :

    L’idée que le gouvernemnt est le problème est déjà très intégré dans les mentalités américaines. Et si tu te bases sur la caricature qu’en fait Jon Stewart pour essayer de comprendre le Tea Party, ça risque d’être un peu difficile. Evidemment que le Tea Party est conservateur. Si il lutte contre Obama, c’est essentiellement car il souhaite étendre l’emprise de l’Etat sur la société (point de vue US) mais, comme je l’ai dis, il y a des candidats tea partistes qui ont soutenu les démocrates contre les républicains (minorité certes), cela montre qu’ils vont un peu plus loin que l’opposition frontale et basique à Obama.

    Le père de Rand Paul est considéré comme un des théoriciens majeurs du libertarianisme américain. Et l’obsession de ces mecs là, c’est vraiment de lutter contre le « big government » qu’ils considèrent comme la cause du déclin des Etats-Unis.

    Deux articles:

    http://www.newyorker.com/reporting/2010/10/18/101018fa_fact_wilentz

    http://www.laviedesidees.fr/Bastiat-repere-intellectuel-de-la.html

    • Etienne V. dit :

      Evidemment que le Tea Party est conservateur.

      🙂

      /discussion

      • 🙂

        En tout cas, il faut dire que le Tea Party n’est pas un parti mais bien une mouvance ce qui fait que, même s’il a signé une sorte de projet en 10 points, il reste un ensemble de franges disparates et variées sous couvert de vouloir faire la nique à Obama sur le sujet de l’Etat. Il est donc difficile de savoir qu’elle est véritablement son idéologie, entre populisme, libertarianisme et idées ultra-réac.


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