[Dossier] Darfour: le grand oublié ?

Camp de réfugiés du Darfour au Tchad (Photo : Mark Knobil)

Alors que l’attention des médias se concentre massivement sur l’impasse de la situation en Côte d’Ivoire et dans une moindre mesure sur le Sud Soudan qui connaît aujourd’hui même un référendum d’une très grande importance, le problème (étroitement lié à ce dernier) du Darfour semble petit à petit quitter le devant de la scène. Pourtant les tensions dans cette région sont bien loin d’avoir trouvé une solution et certaines associations s’alarment de cet abandon ((http://www.oecumene.radiovaticana.org/fr1/Articolo.asp?c=452786)). Face au manque relatif d’informations à ce sujet, l’équipe d’IEP Mag vous propose un dossier sur la question qui reprend les aspects les plus importants du conflit et tente d’apporter des réponses à la question que l’on est si souvent tenté de se poser : pourquoi et comment en est-on arrivé là ((Selon l’ONU, le conflit aurait déjà causé 300 000 morts et 2,7 millions de déplacés http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=18100&Cr=Darfour&Cr1=Soudan))?

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Darfur, la Terre des Furs.

Il y a des sujets, comme ça, qui sont rejetés de la sphère médiatique et qui sont acceptés, quelquefois, par leur qualité intrinsèque de bouche-trou. Ne nous leurrons pas, l’Afrique fait en général son apparition l’été, histoire de nous rappeler qu’il existe autre chose que le soleil et les nanas. Comme dans tout bon journal, rien ne vaut une bonne dose de positivisme, agrémenté de quelques touches de pessimisme. Ca donne un goût plus pimenté à la soupe, et puis, ça attire le poisson.

En général, c’est donc l’été que le Darfour fait une (légère) apparition dans les médias. Les ingrédients sont réunis : une bonne crème d’Afrique, des armes en guise de sucre, et de la guerre pour bien assembler le tout. Un bon gâteau au chocolat cimenté qui bouche parfaitement les trous d’une planète actualité en manque de scoops.

Sauf que le problème, c’est qu’en été, au Darfour, il pleut. Cette région grande comme la France, qui fait partie du plus grand pays d’Afrique, le Soudan, voit chaque année entre juillet et septembre l’apparition de pluies importantes. Faire la guerre en faisant du slalom entre les gouttes, c’est très héroïque, certes, mais ça en fait reculer plus d’un. L’été, il ne se passe presque rien au Darfour, ou du moins, rien par rapport au reste de l’année.

Un peu d’histoire

La montée des tensions

Dans les années 1970, une forte sécheresse et une avancée du désert frappent le Darfour, les terres cultivables devenant de plus en plus rares, au nord notamment. La tribu des Zaghawas, formant en majorité les nomades du nord, musulmans, migrent alors vers le Sud. Ici, les paysans sédentaires (Furs, Masalits), majoritairement animistes, sont plus nombreux. Recherche de terres et confrontement des religions, imaginez les conséquences d’un tel déplacement. Les tensions se font sentir, et le gouvernement de Khartoum, la capitale du pays, en profite : lors d’une famine en 1984, il arme les tribus nomades arabes, jugées les plus fidèles. 15000 morts pour une petite guerre entre Furs sédentaires et Zaghawas nomades. Au même moment, de nombreux conflits opèrent entre Tchad et Lybie, la province du Darfour servant de base arrière pour prendre les ennemis à revers. La Lybie de notre cher et tendre Kadhafi arme ainsi les tribus arabes. En 1990, le Tchadien Idriss Déby part à la conquête du Tchad depuis le Darfour, avec l’aide de la tribu Zaghawa dont il fait lui-même partie. Il souhaite en effet y prendre le pouvoir, des armes puissantes arrivant dans les mains des groupes nomades et paysans. Des morts, encore. Et des armes qui pullulent au Darfour.

Le sud Soudan

En même temps, le gouvernement soudanais est en pleine négociations avec le Mouvement Populaire de Libération du Soudan (SPLM) de John Garang, au Sud Soudan. Cette région est en guerre contre le pouvoir central depuis 1983, depuis que le président soudanais Nimeiri a annoncé sa décision d’introduire la Charia dans le code pénal. Cette décision est l’élément déclencheur d’une guerre civile entre le gouvernement islamique, et le Sud Soudan, animiste et chrétien.

L’année 1989 est marquée par le coup d’Etat du général Omar Hassan Ahmad El-Béchir, qui décide de maintenir la Charia et de l’appliquer dans tout le pays, y compris au Sud Soudan, ce qui sera réalisé avec la loi pénale de 1991. Le Sud Soudan voit ici une provocation de la part du gouvernement, et la guerre ne cesse de s’amplifier. De plus, le général El Béchir est accusé d’une mauvaise répartition du pouvoir et des richesses, qui profite plutôt aux habitants du Nord que du Sud. La guerre de religion prend peu à peu des aspect politiques et économiques.

Le 20 juillet 2002, à Mackatos, au Kenya, les combattants soudanais se mettent d’accord sur plusieurs principes, avec l’accord d’un cessez le feu, et sous une forte pression internationale. Ainsi, la Charia ne s’appliquera pas au Sud, mais le restera au Nord. Au cours des deux années suivantes, le gouvernement et la SPLM négocient le partage des postes gouvernementaux et des richesses. John Garang dirigera ainsi un gouvernement régional du Sud et deviendra également vice-président du pays.

La montée des revendications au Darfour

Les militants du Darfour comprennent alors, par l’exemple de Garang, qu’un possible partage des richesses et du pouvoir leur est possible. Ils réalisent également que s’ils agissent trop tard rien ne leur sera plus possible, et que le gouvernement ne comprend malheureusement que le langage des armes.

Fondé en août 2001, le Front de Libération du Darfour (DLF) attaque de nombreux postes de police avant d’être, en février 2003, rebaptisé Mouvement de Libération du Soudan (SLM), un nom qui témoigne de l’influence de la SPLM de John Garang. Les revendications en sont en effet largement inspirées : partage des richesses et du pouvoir, et l’établissement d’un Soudan démocratique. Abdel Wahid Al Nour, le chef de ce groupe rebelle affirmait alors :

« Nous nous battons pour nos droits. Nous voulons des écoles, des hôpitaux et notre part de richesse nationale ».

Un mois après la création de la SLM, un second groupe rebelle apparaît : le JEM (Mouvement pour l’égalité et la justice). Ces deux groupes rebelles recrutent parmis les différentes tribus de la région, y compris parmis les Zaghawas, qui ont beaucoup servis dans l’armée tchadienne. Ces derniers importent au Darfour une technique de combat, qui se traduit par des raids éclairs à bord de pick-up plein de combattants.

Ainsi, le 25 avril 2003, les rebelles du Darfour frappent un grand coup: ils attaquent l’aéroport d’El- Fasher, détruisent une bonne partie de l’aviation de combat, tuent 200 soldats, s’emparent de l’arsenal et capturent le chef de l’armée soudanaise. C’est une humiliation pour le gouvernement. Celui ci ne peut pas compter sur l’armée régulière, étant donné qu’elle est constituée par une majorité de Darfouris.

Il a donc recourt à une méthode déjà effectuée pendant la guerre au Sud Soudan : la constitution de groupes armés tribaux qui, en échange d’armes et d’un salaire modeste, servent au côtés du gouvernement soudanais. On les surnomme les Jenjawids, ce qui signifie « démon armé à cheval ». Ces derniers sont recrutés parmis les petites et pauvres tribus arabes ne disposant pas de terre mais on y trouve également des criminels, des mercenaires arabes étrangers venus du Tchad, du Niger ou de Mauritanie. Ayant été estimés à plus de 70000, ils attaquent surtout des civils, à dos de cheval ou de chameau, avec des armes lègéres. Leur raid est en général précédé par un bombardement de l’armée soudanaise et est parfois accompagné de troupes de l’armée au sol. Pour certains observateurs du conflit, les Jenjawids auraient échappés au contrôle du gouvernement, et la guerre civile se serait transformée en guerre contre les civils. Ces attaques de Jenjawids aggravent les conditions de vie des habitants : des femmes sont violées, de nombreux villages sont brulés.

Ainsi, on voit apparaître de nouveau conflits entre nomades et sédentaires, bien que ceux ci n’aient jamais totalement disparus depuis les années 80. La précarité s’accentue. De pauvres abris sont construits avec des branchages et des déchets, la nourriture manque, et la pénurie d’eau potable est tout aussi inquiétante. Ainsi, les maladies se développent au grand galop, la diarrhée, la rougeole et les infections respiratoires étant les premières causes de mortalité. Les victimes se déplacent de plus en plus vers l’ouest, majoritairement au Tchad, mais aussi en Lybie ou en République Centrafricaine.

Pendant un an, le Darfour ne fait l’objet d’aucun communiqué. La région reste ainsi à huit clos entre 2003 et 2004. Les attaques des Jenjawids ne font pas l’objet d’une guerre du point de vue gouvernemental, mais très rapidement elles vont devenir un symbole des crimes contre l’humanité commis dans la province. Les humanitaires déjà présents au Tchad constatent que des réfugiés se concentrent en masse le long de la frontière et, en voyant ce calvaire, essaient imaginer l’horreur que subit cette région. Il leur est impossible d’entrer car le gouvernement a fermé les frontières.

Un homme déjà isolé au Soudan va se rendre compte de la gravité de la situation et va tenter de déclencher la médiatisation de ce conflit oublié.

La médiatisation

L’élement déclencheur

L’Organisation des Nations Unies possède un siège dans chaque pays du monde, Mukesh Kapila étant à l’époque le représentant de l’ONU à Khartoum.

En 2003, alors que les rebelles du Darfour commence à se révolter, M.Kapila est invité à une réunion avec le gouvernement. Les membres de ce dernier ont peur que l’accord de paix signé en 2002 avec le Sud Soudan les empêche de régler le problème du Darfour. Ils affirment alors leur volonté de vouloir en finir avec la région et certains seraient allé jusqu’à employer le terme de « solution finale ». Mais pourtant, cet accord ne règlerait-il justement pas les problèmes du Darfour ? Car si John Garang est nommé vice président, il pourra alors défendre, en plus du Sud Soudan, le Darfour, une région alliée. Le point de vue des pays occidentaux est ainsi totalement opposé à celui de Khartoum. Et Mukesh Kapila, isolé au Soudan, s’en est immédiatement rendu compte.

Le réprésentant décide alors d’alerter le conseil des Nations Unies. Il ne se fait pas entendre car ce dernier pense encore que l’accord de paix Nord-Sud va tout régler. M.Kapila ne baisse pas les bras et part ainsi faire le tour des grandes villes d’Europe. Il essaie de se faire entendre à Paris, Oslow et enfin Londres. C’est seulement dans cette ville que l’homme va réussir à s’imposer. Ainsi, au printemps 2004, et pour la toute première fois, le Darfour s’invite dans les médias : Mukesh Kapila parvient à décrocher un interview à la BBC et alerte le monde entier en qualifiant la situation au Darfour de « nettoyage ethnique ».

Cette nouvelle bouleverse les esprits et notamment l’esprit de l’ONU, qui avait auparavant ellemême négligé l’affirmation de Mukesh Kapila lorsqu’il était venu les alerter de la situation dans le pays. L’organisation décide donc de rattraper son retard, et ainsi, Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU profite de la commémoration du génocide du Rwanda, le 7 avril 2004, pour faire sortir le Darfour de l’ombre.

Par cette divulgation internationale de l’état du Darfour et donc par pression internationale, le gouvernement soudanais se sent obligé de signer un accord de cessez le feu avec les rebelles, le lendemain même. Il signe également un accord de laissez passer aux ONG. Les murs qui enfermaient le Darfour se montrent de plus en plus souples.

Les ONG

Ce laisser passer accordé aux ONG va provoqué un nouveau tournant dans le conflit. En effet, l’horreur oubliée va devenir une horreur connue et tentée d’être réparée par les humanitaires. De rares ONG étaient déjà présentes au Darfour depuis le début du conflit, ayant obtenu la permission de rentrer dans le territoire en septembre 2003. C’est le cas de MSF Belgique par exemple, qui a du faire face pratiquement seule à la difficulté de la situation.

En 2004, grâce aux laisser passer délivrés par le gouvernement soudanais, des dizaines d’ONG françaises débarquent, avec des agences de l’ONU, pour nourrir et soigner plus de 200000 personnes. Ces ONG créent ainsi, avec les réfugiés, des camps où l’on trouve des puits, des dispensaires, des habitations et même des écoles. Ces camps s’agrandissent de jour en jour, devenant presque des villes.

Ainsi, les humanitaires volontaires souhaitant se rendre au Darfour sont très peu nombreux, par peur de ces violences. Les réfugiés sont toujours là, leur nombre s’accentuant de jours en jours. Et le gouvernement ne cesse de durcir sa politique, expulsant, le 5 mars 2009, 13 ONG internationales.

Une médiatisation impulsé par des stars

De nombreuses célébrités vont oeuvrer à la médiatisation du conflit du Darfour (oui, parfois, elles savent utiliser à bon escient leur image). Vous avez peut être entendu parler du disque « Make some noise, the Amnesty International campaign to save Darfur », réalisé par de nombreuses starlettes internationales.

Par ailleurs, Georges Clooney s’investit totalement dans la défense du conflit, y réalisant des reportages coup de poing, et convaincant la série « Urgence », à qui il doit sa notoriété, de diffuser un épisode sensibilisant l’opinion américaine mais aussi mondiale du conflit (il aura été diffusé le 29 octobre 2006 sur France 2). Le 14 septembre 2006, il prononcera un discours devant le conseil de sécurité de l’ONU. Ainsi, sans attendre le consentement du Soudan, Georges Clooney et Elie Wiesel (écrivain américain de langue française et prix nobel de la paix) lancent un appel à une intervention au Darfour afin de réveiller les grandes puissances. Le vendredi 18 janvier 2008, l’acteur est nommé « Messager des Nations Unies pour la Paix ».

On le voit apparaître également sous le logo de l’association Save Darfur, présente en France (sous le nom de Sauver le Darfour) et aux quatre coins du monde. Cette association milite contre l’inaction des grandes puissances et contre la non-médiatisation du conflit en utilisant tous les moyens nécessaires (manifestations, organisation de réunions publiques, interventions en milieu scolaire ainsi que dans les quartiers, publications, sorties de disques et concerts…).

Contrairement au protocole habituel où l’action des grandes puissances alerte les médias, ce sont ici les médias qui ont alerté les grandes puissances.

Pourquoi un tel silence ?

(Suite en Page 2)



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