La dialectique hégélienne du Sarkozy et du Fillon

Au delà d’une querelle d’hommes et plus qu’une lutte idéologique, l’affrontement Sarkozy/Fillon révolutionne le rapport de force traditionnel de la Vème République et pourrait bien créer une jurisprudence tout sauf anodine. Tentative d’explication philosophico-politique.

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Les légendaires divisions au sein du Parti Socialiste semblent avoir eu un effet contaminateur dans les rangs de la majorité. Etudiants passionnés que vous êtes par les débats de fond, semblant eux aussi contaminer le champ médiatico-politique, vous n’avez quand même pas pu échapper à la faille naissante qui s’est créée au sein de la majorité présidentielle. En effet, François Fillon – ce traitre déjà appelé le Talleyrand de l’UMP au sein du cloitre – a osé refuser de se rendre au débat sur la laïcité et l’Islam voulu par Jean-François Copé et Sarkozy. Quelques semaines plus tôt, son caractère rebel s’était déjà fait ressentir via son opposition à la politique du « ni-ni » souhaitée au sein de la droite. Les rapports Premier Ministre/Président de la République semblent sortis des pratiques de la 5ème République comme la Rivière sort de son lit. Crise d’adolescence ou réelle rupture au sein de l’exécutif ?

« On ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet. » disait De Gaulle.

Une telle rupture apparaissait pourtant improbable il y a encore quelques mois où l’hyper-présidentialisme du maître Sarkozy et son dynamisme légendaire mettait dans l’ombre le Premier Ministre François Fillon. Ce n’est pas sans rappeler la fameuse phrase de Maurice Duverger «  M. Debré existe-t-il ? » à propos d’un premier ministre qui allait encore rester en fonction près de trois ans. De Gaulle à l’époque se plaisait dans cette vision de l’exécutif et déclarait en 1964 : «On ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet.  Mais, justement, il n’en est rien ». Fillon, donc, au début du quinquennat, restait l’homme tranquille, celui qui obéissait, qui parfois était humilié en étant qualifié de simple « collaborateur ». En d’autres termes, c’était l’esclave ! Maitre Sarkozy, esclave Fillon …Maitre… Esclave… Maitre… Escla… HEGEL ? (« c’est OUI ! » se serait exclamé le fantasque Julien Lepers).

Dans sa dialectique du maître et de l’esclave (phénoménologie de l’Esprit) Hegel développe l’idée qu’il existe un maître qui ne fait que jouir de son existence sans entrave, ni contrainte, ni … responsabilité comme le Président sous la 5ème République. Hegel développe l’idée que le maitre est devenu maître car il a accepté de risquer sa vie pour être reconnu. Il va préférer la mort à l’éventualité de ne pas être reconnu. Sarkozy a, lui, pris un risque en faisant face à l’onction du suffrage universel au niveau national : une défaite aurait pu être pour lui synonyme de mort politique. En tant que véritable maître, Sarkozy a une relation particulière vis-à-vis du travail: si on ne peut clairement pas affirmer qu’il se tourne les pouces, son rapport au travail est singulier dans le sens où il assume une fonction unique sous entendant supervision et prises de décision plus que travail de fond qu’il délègue à son équipe. Enfin, irresponsable, seul à assumer son rang, il en vient à perdre contact avec une réalité qui le dépasse, lui, le «Prince- Président » souvent enfermé dans son château de l’Élysée. Peu à peu, il se sépare du monde et perd l’habitude de justifier ses actes et décisions.

Il a gagné en assurance, en compétence et a su se renforcer face au danger.

 

Quant à François Fillon, il est celui qui prend les coups et qui rend des comptes chaque semaine devant les parlementaires. Cet esclave prend donc conscience de la fragilité de sa vie car son maître a le droit de vie ou de mort sur lui et le travail l’expose au danger. L’esclave, dans cette relation à l’autre qui est une relation de lutte, éprouve la disparition possible, la fragilité de son existence et a donc pris conscience de lui-même. Pourtant, la disparition n’a pas eu lieu, le gouvernement Fillon III semble être celui qui finira le quinquennat. Hegel poursuit en montrant que grâce à sa connaissance des outils (comparons les ici aux dossiers), l’esclave s’émancipe peu à peu vis-à-vis de son maître qui en devient de plus en plus dépendant. Dès lors, l’émancipation passe aussi par une imposition progressive de l’esclave face à son maître : il a gagné en assurance, en compétence et a su se renforcer face au danger. Cette inversion de la domination s’illustre parfaitement lors du récent « mini-remaniement » où MAM et M. Hortefeux se sont vu congédiés et où Guéant a pris la place de ce dernier. Sauf qu’auparavant, Guéant était le conseiller général de l’Elysée, c’est-à-dire qu’il pilotait les dossiers et la politique étrangère appliquée par le gouvernement. Au vu de la formidable réussite que ce fut (quel doux euphémisme), François Fillon a quasiment exigé auprès du Président de changer de conseiller : étant celui qui prenait toute la responsabilité des décisions présidentielles et de son cabinet, il exigeait avoir un droit de regard sur les personnes qui les formulaient et a demandé le départ de Claude Guéant, chose qu’a validé le Président.

Le rapport entre le maître et l’esclave finit par se retourner et l’esclave, par le travail et la reconnaissance du maitre, devient maitre de lui-même. Au vu des opinions favorables largement à l’avantage du Premier Ministre, certaines voix s’élèvent en faveur de la candidature de Fillon. Quid de la probabilité d’un tel renversement pour 2012?

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Alexia Vasselin, Kévin Trublet, Pierre Rosmorduc – Sciences Po Rennes

 



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