Rumeur : le plus vieux média du monde

Au début du mois d’août, des émeutes ont eu lieu dans les rues de Londres d’abord, dans les grandes villes britanniques ensuite. Toutes les chaînes du monde ont relaté ces évènements. Cependant, la justesse des analyses faites semble compromise par divers témoignages de citoyens français présents dans la capitale britannique. Cet article présente l’expérience d’une journée d’un élève en 3ème année à Londres.

Sourires aux lèvres, yeux épanouis par la belle journée qui se termine et désireux de connaître les nouvelles du jour, les Londoniens se dirigent le pas affirmé vers cet homme maigre, avec sa barbe de trois jours, faisant valoir sa voix imposante devant l’entrée de la West-Hampted Station : « Come on guys! Free papers ! ». Voulant me fondre dans le quotidien des Britanniques, je m’en approche. Sa main me tend le London Evening Standard, journal quotidien réputé dans la capitale. Je m’en saisi et commence à le décortiquer. Bien évidemment, la grande majorité de l’édition est consacrée aux « riots » du « no future», ces fameuses émeutes qui ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines. Discours du Premier Ministre David Cameron, réactions du maire de Londres, opinions des classes politiques : tout y était. C’est sans surprise que je remarque que le débat s’articule autour d’une seule question : y a-t-il une revendication politique derrière ces émeutes ? La réponse se veut très catégorique : oui pour la gauche, non pour la coalition (« C’était de la violence gratuite et du vol opportuniste, rien de plus, rien de moins. C’est absolument inacceptable» Nick Clegg).

Toutefois, quelque chose me tracasse. Je ne vois nulle part le mot « immigration», en France il serait apparu plusieurs fois dans un seul article, non? Un jour d’émeutes, puis deux, puis trois,et toujours impossible d’entendre ce mot dans la bouche des politiciens. Bizarre, seraient-ils d’une intelligence supérieure ?

 

“Dans la rubrique conseils aux voyageurs je constate que je suis sous la menace d’une attaque terroriste dont le risque n’a jamais été aussi élevé”

Sur les réseaux sociaux, mon colocataire et moi sommes envahis de questions de la part de nos familles et amis : « vous allez bien ? », « j’ai peur pour vous », « retournez en France », « faites très attention c’est vraiment la merde chez vous, le MAE l’a dit ». En effet, dans la rubrique « conseils aux voyageurs » je constate que je suis sous la menace d’une « attaque terroriste » dont le risque « n’a jamais été aussi élevé ». Il est peu intelligent de parler de terrorisme aux Londoniens, surtout quand on connaît l’impact moral que les attentats du métro en 2004 ont pu avoir. Qu’est-ce que les médias français peuvent bien raconter ? Sur le site internet d’un célèbre quotidien, j’apprends qu’ici c’est « l’anarchie», que les habitants de la capitale et des grandes villes sont « apeurés ». « It doesn‘t affect us » me confie une habitante du quartier de Stratford, dont les structures olympiques ont été attaquées. Cela ne signifie nullement qu’il n’y a pas de compassion pour les gens qui y ont laissé leur vie (5 personnes ont été tuées en tentant de protéger leurs quartiers). Ça veut simplement dire : « nous ne vivons pas dans la crainte permanente d’être victime ».

“Le seul problème, c’est que Madame Le Pen n’a aucune connaissance de la politique ni de la société britannique”

Après la réaction des journaux français, il faut se demander quelle pourrait être celle des politiciens. A mon grand malheur, le premier lien internet qui me tomba sous la main fut celui d’une analyse très particulière de la situation : celle de Marine Lepen. « Grande analyste qui ose ouvrir sa gueule, qui ose dire les choses » me dira sûrement sa petite armée basée dans l’IEP. Le seul problème, c’est que Madame Le Pen n’a aucune connaissance de la politique ni de la société britannique, et pourtant, elle y voit « un problème d’immigration», plus précisément « l’échec du melting pot à l’anglaise ». Comme je le disais plus haut, l’immigration n’a jamais été accusée par quelque classe politique que ce soit en Grande-Bretagne. Elle le fut dès le premier jour en France ! Rudyard Kilping écrivait à son fils en 1910 : « Si tu es capable d’entendre tes paroles travesties par des gueux pour exciter les sots, Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles, sans mentir toi-même d’un seul mot ». L’intérêt de cet article (s’il en a un), c’est de faire comprendre à ceux qui le lisent que les médias français ont été les gueux, et leurs locuteurs les sots. Et que de mensonges dans la bouche de politiciens qui se servent d’un tel évènement pour appuyer le contenu de leurs programmes. « Ces gamins n’ont pas de boulot, pas d’avenir et les coupes budgétaires n’ont fait qu’empirer la situation » a déclaré un citoyen britannique au magazine France Soir. Ca ne pardonne pas un meurtre, mais ça explique un soulèvement.

Kieran Zago – Sciences Po Aix

– Controverses.



1 commentaire

  1. Vladimir dit :

    Un très bon article qui a le mérite de pointer des problématiques intéressantes.

    Il nous montre bien qu’il n’y a pas que Marine Le Pen à n’avoir aucune connaissance de la société britannique, mais que cela s’adresse également aux médias français. Pour deux raisons : la première, détaillée assez justement dans l’article en prenant l’exemple de l’immigration, c’est que les médias de notre pays (et ils ne sont surement pas les seuls) persistent à regarder les sociétés étrangères sous un prisme franco-français, tachant de manière psychorigide d’analyser les problèmes extérieurs sous l’angle de nos propres « problèmes ». Sans aller jusqu’à parler d’ethnocentrisme médiatique, on peut en tout cas regretter que les médias français persistent à vouloir confirmer des biais français lorsqu’il s’attaque à des faits étrangers.

    La deuxième raison, c’est qu’on a beau parlé de mondialisation des connaissances et des médias, accélérant le traitement et la transmission des informations, permettant de mieux comprendre ce qui se passe chez le voisin, la compréhension universelle est encore loin. Cet article nous permet de ne pas nous leurrer : nous comprenons encore très peu les sociétés extérieures, mêmes les plus voisines, mondialisation médiatique ou pas mondialisation médiatique. Des progrès ont été fait, c’est évident. Mais il serait stupide qu’il n’en reste pas à faire. De CNN qui présente les émeutes de banlieues comme une guerre civile, aux émeutes de Londres, les médias internationaux continuent de nous fournir des points de vues désinformés et biaisés…


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