De Rouille et d’os : Cannes désavoue le grand favori

 

iepmag De Rouille et dos : Cannes désavoue le grand favori

        Dimanche 27 Mai s’est clôturée la 65ème édition du festival de Cannes. Une étudiante de Sciences Po Rennes revient sur De rouille et d’os qui pourtant fort d’excellentes critiques et d’un excellent démarrage avec plus de 650 000 entrées la première semaine n’a su décrocher la palme. Retour sur une histoire poignante et un amour improbable. [ATTENTION : cet article dévoile les moments clés de l’intrigue]

        Le dernier film de Jacques Audiard, sorti le 17 mai, pourtant considéré comme favori dans la compétition pour la Palme d’Or, crée la surprise en revenant bredouille du 65ème festival de Cannes. Il faut dire que De Rouille et d’os avait tout pour remporter la Palme d’Or : des acteurs hors pair, Marion Cotillard et Matthias Schoenaerts époustouflants dans le film ainsi qu’un scénario poignant face auquel le public peine à ressortir intact. Même si Jacques Audiard a une fois de plus sorti le grand jeu cinématographique, le vent a fini par tourner en sa défaveur, le jury semblant vouloir désavouer les mauvaises langues qui prétendaient déjà connaître le nom du film récompensé.

        De rouille et d’os, avant d’être l’heureux perdant de l’édition 2012 du Festival de Cannes, star du box-office oblige, c’est surtout l’histoire de la rencontre d’Ali (Matthias Schoenaerts) et Stéphanie (Marion Cotillard), personnages attachants, en tout point opposés mais que le hasard d’une soirée en boîte de nuit va rassembler. En effet, Ali, ce jeune père fauché et désorienté, et Stéphanie, la talentueuse dresseuse d’orques, n’ont a priori rien en commun jusqu’à l’amputation de cette dernière : la misère de la vie devient pour eux un point de convergence. Videur récemment embauché dans une boîte de nuit, il lui laisse son numéro de portable après l’avoir raccompagnée chez elle lors d’une soirée arrosée. Elle n’en avait pas eu l’utilité jusqu’à ce qu’il devienne la première personne qu’elle décide d’appeler, après l’accident de travail au cours duquel elle a perdu ses deux jambes. Les yeux hagards, elle est au bord de la dépression de retour chez elle après son hospitalisation. Rien de plus brutal qu’un réveil dans une chambre d’hôpital avec deux jambes en moins, elle semble perdre goût à la vie : les visites se succèdent à l’hôpital, elle semble à peine écouter, son esprit est ailleurs, il tente d’échapper à la réalité dans laquelle elle est désormais engluée.

Tellement habitué aux misères de la vie, il ne semble même pas éprouver une once de pitié lorsqu’il découvre celle qu’il avait ramenée ensanglantée jusqu’à chez elle.

Elle ne l’avait vu qu’une fois auparavant, il l’avait même traitée de pute avec sa robe de soirée moulante, et pourtant c’est à lui qu’elle pense lorsqu’elle se retrouve seule, elle et son fauteuil roulant, dans son appartement. Il est tellement habitué aux misères de la vie, qu’il ne semble même pas éprouver une once de pitié lorsqu’il découvre celle qu’il avait ramenée ensanglantée jusqu’à chez elle. La vie est surtout faite de malheurs, à chacun les siens, aurait pu dire Ali. Lui, il vient de récupérer Sam, son fils de cinq ans, alors qu’il ne parvient à peine à s’occuper de lui-même sans boulot fixe. Il descend à Antibes habiter chez sa sœur et son mari, avec qui il avait apparemment perdu contact, déboussolé face au nouveau rôle de père qui l’attend. Grâce à son goût prononcé pour les sports de combat, il devient veilleur de nuit. Alors que la vie ne l’a pas gâté, il décide de redonner goût à celle de Stéphanie, enfermée dans son appartement où la lumière du jour est filtrée par des rideaux tirés. D’abord soucieuse du regard des gens, elle effectue sa première sortie hors de chez elle grâce à des lunettes de soleil. Puis, elle le regarde avec envie se baigner dans la mer, elle qui vivait tous les jours à son contact avant son accident. L’envie sera plus forte que la honte et elle finira par demander à Ali de la porter jusqu’à l’eau, pour se baigner à son tour. Leur histoire qui ne prend au début que la forme d’une entraide mutuelle face aux galères de la vie, se transforme progressivement en histoire d’amour non déclarée. Elle, jalouse face à ses frasques nocturnes, et lui, incapable d’interpréter les sentiments qu’elle éprouve pour lui. Quand elle lui avoue qu’elle a peur de ne plus savoir comment fonctionne son corps de femme après son accident, il est « opé » pour lui réapprendre à faire l’amour sans ses deux jambes. Elle découvre alors de nouvelles sensations auxquelles elle prend goût, elle en redemande, elle tombe amoureuse. Lui, de son côté, prend soin d’elle, la porte pour aller aux toilettes car elle a honte de se traîner par terre. Il accepte qu’elle assiste à ses combats de boxe organisés illégalement auxquels il participe pour gagner de l’argent et aider sa sœur qui l’héberge. Il l’amène en boîte de nuit avec elle mais repart avec une autre fille, sans se rendre compte du regard envieux de Stéphanie qui aimerait être à la place de l’inconnue avec qui il va passer la nuit.

        Jacques Audiard met en scène une histoire d’amour improbable, qui n’aurait sans doute jamais existé sans l’amputation de Stéphanie. En effet, Stéphanie se sert du numéro laissé par Ali après leur première rencontre, seulement après son accident. Elle est rassasiée de la pitié des gens de son entourage et trouve en Ali un regard revigorant : celui de l’indifférence face à la perte de ses deux jambes. Seule sur sa terrasse, assise sur son fauteuil roulant face au soleil, avec Firework de Katy Perry en fond « Do you ever feel like a plastic bag, drifting through the wind wanting to start again? »,  Stéphanie reprend la chorégraphie sur laquelle elle faisait virevolter les orques. Le refrain de la chanson « Allez, montre-leur ce que tu vaux » et son sourire aux lèvres attestent de sa volonté de s’en sortir, de ne pas se laisser abattre par le sort qui s’est acharné contre elle. Elle retrouve donc progressivement goût à la vie avec l’appui d’Ali, elle parvient même à retourner sur son ancien lieu de travail, au parc aquatique, là où elle a laissé ses deux jambes. Malgré ce drame de la vie, la rancœur qu’elle aurait pu avoir s’est évanouie, son attachement pour ses compagnons de travail est toujours intact : elle reprend même la chorégraphie avec un orque à travers une vitre au sous-sol des bassins aquatiques. L’orque reconnaît ses gestes familiers et la suit dans sa chorégraphie, qu’elle effectue debout, soutenue par ses prothèses. Elle fait même peau neuve grâce à deux tatouages « Gauche » et « Droite », un sur chaque cuisse, et n’hésite plus à découvrir ses fausses jambes à la vue de tous. Sa détermination et sa sérénité retrouvée l’amènent même à remplacer l’entremetteur d’Ali dans l’organisation des combats clandestins. C’est désormais elle qui prend les paris dans ce monde masculin et très viril qu’est la boxe. Elle semble s’épanouir dans sa nouvelle vie, preuve s’il en faut avec sa présentation à la sœur et au fils d’Ali.

        Cette joie de vivre prend cependant brutalement fin quand Ali se fait virer de chez sa sœur et son mari, après s’être rendu responsable de son licenciement. Il n’a nulle part où aller et décide instinctivement de fuir en laissant derrière lui, Sam et Stéphanie. Le spectateur finit par comprendre qu’il a rejoint une équipe professionnelle de boxe, seul domaine où il se sent roi. Il semble ne plus donner de nouvelles à Stéphanie, préoccupé par ses compétitions, désormais officielles, de boxe. Pourtant, alors que c’est à son tour de devoir faire face à un drame à la fin du film, il est incapable de contenir ses pleurs au téléphone avec elle. Il se dévoile enfin, le drame final ayant mis à nu ses sentiments. Les rôles s’inversent : bouleversé, il la supplie de rester au téléphone avec lui, il a besoin d’elle tout comme elle a eu besoin de lui après son drame à elle.

        Ainsi soit-il, De rouille et d’os est donc un film d’espoir face aux malheurs de la vie. Le message d’Audiard est explicite : si Ali et Stéphanie, deux êtres tourmentés, aux parcours semés d’embûches, sont parvenus à surmonter ensemble des événements traumatisants, à chacun de savoir ce qui lui reste à faire face à l’imprévisibilité de la vie.

Maïwenn Bordron – 2A à Sciences Po Rennes



7 commentaires

  1. Aude dit :

    Ah sinon c’est Matthias Schoenaerts hein…

  2. Paul dit :

    « des acteurs hors pair », « époustouflants », ’ »un scénario poignant  » ? Mais vous avez vu ça où ? Autrement, faire de la critique cinoche, c’est pas simplement mettre des jolis mots sur des perceptions ou étaler des adjectifs pour paraphraser l’intrigue…

    • Maïwenn dit :

      Ba écoutez le film m’a plu, ça ressort sans doute trop dans mon article mais ces jolis mots, comme vous dites, c’est de cette façon que j’ai perçu le scénario d’Audiard ! Après on aime ou on aime pas, mais le but de l’article était aussi de donner envie d’aller le voir ou de faire un retour sur un film qui cartonne dans les box-offices, donc je vois pas pourquoi je me serais privée de jolis mots que j’assume entièrement parce que je les trouve justes et sur lesquels je ne reviendrai pas malgré votre commentaire cinglant ! On ne peux pas analyser un film d’Audiard avec n’importe quels mots donc je vous laisse à votre manque indéniable de goût cinématographique.

  3. Paul dit :

    Oui, je sais, que je déteste le dernier Audiard — bourré de stéréotypes et ridicule sur les bords, au passage — est vraiment révélateur de mon manque de goût cinématographique. Par contre, certains sont même contraints d’arriver à de tels expédients tant ils manquent de goût par eux-même….

  4. Maïwenn dit :

    … alors que d’autres sont contraints de tirer la conclusion que De rouille et d’os n’est fait que de stéréotypes, aveuglés par leurs oeillères qui les empêchent de voir le sens même du film.

  5. Paul dit :

    Bon, pas que je tienne plus que ça à m’écluser dans cette sourde discussion — et un peu puérile —, mais trouver des défauts à un film et remettre en cause sa valeur ne revient pas à arborer des oeillères — d’ailleurs je ne me rappelle pas avoir occulté le sens du film ; à défaut d’oeillères, vous devez cacher de bonnes lunettes à rayons X.

    Mais vous vous rendrez compte de tout cela, j’imagine, lorsque vous vous confronterez à d’autres critiques.

  6. Maïwenn dit :

    Je n’ai jamais prétendu occulter le fait que l’on puisse trouver des passages clichés dans le film, j’en suis parfaitement consciente ! Ce que je vous reproche, c’est de vous focaliser uniquement dessus, de façon à en oublier la beauté même du film! Enfin bref, moi non plus je ne tiens pas à m’étaler sur une affaire de goûts, car je ne suis pas prête à concéder quoi que ce soit sur ce film.


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