Le geek est l’avenir de l’Homme

The Big Bang Theory, célèbre sitcom qui parodie autant qu'elle célèbre la culture Geek.

Face à ce qu’il considère comme un mépris culturel évident et injustifié, un étudiant de Sciences Po Aix dresse un portrait de la culture Geek dans le but de la réhabiliter. Il la reconnait timide mais créatrice, avant-gardiste bien que sous estimée. IEP Mag vous propose rien de moins que La revanche d’un geek.

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Il est de ces mouvements culturels dont l’apparition spontanée surprend toujours. Nul n’aurait misé un centime sur les chants des Noirs dans les champs de coton. Personne n’aurait jamais imaginé que la rencontre entre le Mali et Cuba puisse produire un phénomène musical aussi reconnu que le Buena Vista Social Club. On pourrait, sans vouloir se comparer avec d’illustres ancêtres, avoir la même analyse du mouvement geek.

Un mouvement culturel à part entière marqué par le mépris

Longtemps moqués, toujours caricaturés, les geeks apparaissent souvent aux yeux du tout-venant comme des êtres privés de vie sociale, branchés en permanence sur leurs univers virtuels et incapables de se confronter au monde réel. D’éternels adolescents attardés, qui privilégient la lecture de romans de gare publiés chez Bragelonne à la prose éternelle d’Hugo, et sont incapables de percevoir la beauté d’un bon Godard tout en s’émouvant sur des « navets » comme The Watchmen ou 300. Au-delà de ces clichés, le mouvement geek est en train de devenir un phénomène culturel d’une puissance créatrice insoupçonnée, et qui ne se base pas uniquement sur la culture de masse, mais plonge ses ramifications jusque dans une culture totalement légitime, qu’il revisite avec un regard et à travers des supports nouveaux. On pourrait citer ce professeur de philosophie qui se passionne depuis des années sur les influences philosophiques dans Star Wars, ou de l’excellent Matrix, machine philosophique paru en 2003, et qui reprend à travers le film une histoire de la théorie en philosophie.

Le Nouvel Obs’ à propos du Seigneur des anneaux en 1982 : « ça n’intéresse personne »

Cependant, la particularité de ce mouvement n’est pas de se fonder, comme peuvent le faire d’autres mouvements, sur une recherche de légitimité qui se ferait à travers la culture établie, mais de trouver en lui-même ses propres codes, ses propres références et ses propres problématiques. Comme en parle l’auteur Bernard Werber dans le documentaire Suck my geek, le mouvement geek a la particularité d’être l’une des rares sources de nouveauté dans un monde de plus en plus converti à une culture massive et insipide qui, pour trouver un peu d’originalité, s’inspire de plus en plus du mouvement geek. De grosses productions comme Spider Man ou Le seigneur des anneaux ont longtemps été enfermées dans une vision tronquée, qui les concevait comme des oeuvres à peine dignes d’intérêt et réservées à des « ratés » ou des « minables » (Werber évoque ainsi l’analyse des journalistes du Nouvel Obs’ en 1982 sur Le seigneur des anneaux : « Un roman qui parle de petits fachos pour soutenir l’apartheid, ça n’intéresse personne »).

Des geeks paradoxalement tournés vers le monde

Si c’est sur lui-même et dans lui-même que l’univers geek trouve son inspiration, cela ne l’empêche pas d’être tourné vers l’extérieur où il trouve l’essentielle cible de ses critiques. Les romans de Pierre Bordage peuvent, ainsi que certains personnages de The Batman, fournir une base de réflexion sur certaines problématiques tout sauf futiles, comme l’éthique en sciences, le nucléaire, le fondamentalisme religieux… A ce titre, le cliché du geek coupé du monde doit nécessairement être enrichi d’une vision du geek raccordé de façon forte au monde tout en maintenant avec lui une distance qui ne le rend que plus lucide, dans son ironie ou dans ses délires, sur une situation donnée. Univers de création culturelle (des titres comme Kaamelott, Star Wars, Le Seigneur des anneaux évoquant des phénomènes culturels non-négligeables, ne serait-ce que par leur importante diffusion dans l’univers des connaissances partagées par tous ou presque), le mouvement geek est également un univers de création politique (les mouvements comme La Quadrature du Net ou des phénomènes comme la Déclaration d’indépendance du Cyberespace étant des aventures que l’on peut considérer comme pour le moins novatrices), économique (ainsi qu’en témoignent les phénomènes de création « opensource » ou d’une façon plus triviale le mouvement des fan arts)…

Petite précision sémantique

En un mot comme en cent : les geeks sont partout. Que vous regardiez à la télé un film de science-fiction ou de fantasy, que vous ouvriez un ouvrage de philosophie sur les nouvelles technologies, que vous vous divertissiez devant le nouvel épisode de Kaamelott (que vous aurez certainement téléchargé grâce à un logiciel fonctionnant en opensource), que vous vous intéressiez à la création numérique, vous évoluez dans un monde qui a été marqué, de façon certes modeste, mais remarquable, par un mouvement culturel qui s’est toujours gardé d’être exubérant et commercial, et a été en retour méconnu et méprisé, copié mais ignoré. Qui sait, peut-être êtes-vous vous aussi l’un de ces êtres dont tout le monde connaît le nom, mais que personne ne saurait vraiment définir. Il ne faut pas s’en sentir honteux : pour reprendre le mot du créateur de Kaamelott dans Suck my geek : « Ce sont les forts en foot, les vrais glandus ».

Griswald Vlakos – Sciences Po Ai



5 commentaires

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  2. Loicsoft dit :

    Tiens tiens, on parle de geek à Sciences Po ! Il faut être curieux pour s’intéresser à une telle race, c’est sûr qu’elle n’attire pas beaucoup en apparence. D’ailleurs je serais curieux de savoir s’il y a vraiment une population que ça intéresse, à sciences po.
    J’apprécie l’article bien qu’il ne présente pas très bien ce qu’est un geek (avant de parler d’une culture je pense qu’il est préférable de s’intéresser à ses composants), mais l’auteur n’étant assurément pas geek (la phrase « grâce à un logiciel fonctionnant en opensource » étant totalement dépourvu de sens), je comprends qu’il ne s’y aventure pas.

    Je me permet donc, en tant que geek entouré de geeks et vivant avec des geeks, de vous présenter quelques aspects de ce sombre personnage.
    Tout d’abord un geek est un passionné. Il est d’ordinaire de présenter le geek comme un passionné de jeux vidéos, hors la passion du jeux vidéo n’existe que lorsqu’il n’y a pas d’addiction… et ce cas de figure est rare : le geek est donc rarement passionné de jeux vidéos !
    Je suis désolé d’en décevoir certains, mais c’est la réalité. Cependant les geeks qui ne jouent pas à au moins un jeu vidéo sont assez rares… mais rien à voir avec une passion.
    Tout comme il y a des historiens passionnés de la pré-histoire et d’autres de la IIIème république, il y a des geeks passionnés de sécurité (hackers) et d’autres des nano-technologies.
    Mais le geek est souvent passionné par plusieurs domaines (dans l’informatique), ainsi que par des domaines complètement opposés (la politique, la philo, la socio…).

    Pour rejoindre l’article, la culture geek est en effet omniprésente : la science fiction telle que nous la connaissons aujourd’hui est entièrement née de là, et elle a séduit un public extrêmement large aux quatre coins de la planète. Il ne faut pas oublier que le high-tech (ou « les nouvelles technologies ») est également issu d’un monde geek, même si on s’en éloigne un peu (c’est presque à la portée de tout le monde de monter son ordinateur..).

    L’Open source est un bon exemple de la « philosophie geek » : elle n’existe nulle par ailleurs. La base du monde libre ce sont les communautés, mais je ne vais pas développer ça ici de peur de trop compliquer le sujet. Le libre est un terme on ne peut plus courant pour un geek (croyez-moi, on l’emploie autant que le mot Windows), mais peut-être complètement inconnu pour certains d’entre-vous : c’est donc le terme utilisé pour décrire la nouvelle vision du monde par les geeks ! Il existe des licences libres (basées sur le copyleft !), et donc des logiciels libres (Mozilla Firefox, Thunderbird, Open office, VLC etc.), des systèmes d’exploitations libres (distributions Linux), et des tas d’autres logiciels basés sur des technologies libres (Android, Chrome, Safari…).

    Le libre peut paraître un peu communiste (tout est gratuit ou presque, chacun peut apporter sa contribution etc.), il marche pourtant en partie grâce au système capitaliste (avec la publicité par exemple).
    Peut-être qu’un jour, et je l’espère, il existera un modèle politique plus sain, pas très différent de la démocratie actuelle mais un modèle basé sur les bonnes idées… (pas mal non ?!)
    Ce jour n’arrivera que lorsque les geeks attireront (enfin) l’attention du grand public qui se séparera de ses préjugés.

  3. GW dit :

    Bon, alors j’ai gueulé parce qu’on ne m’a pas demandé mon avis avant de publier mon article ici et qu’on l’a dénaturé en rajoutant un chapô et des illustrations hors sujet selon moi, je maintiens.

    Merci pour ce commentaire (je ne m’attends pas à en avoir des centaines vis à vis de cet article qui n’est pas polémique en lui-même). Merci aussi pour la correction sur l’open source, que j’aurais du mal à définir, n’étant, comme vous l’avez relevé, pas un geek du tout.

    Je voulais répondre à une critique, c’est que je ne définis pas un geek. Je ne m’y suis pas risqué pour trois raisons. La première c’est que je ne voulais pas sombrer dans le cliché « SF – ordi – jeux vidéo » qui est la vision du sens commun et largement erronée en ce qu’elle met à part d’autres éléments de culture. La deuxième était que l’on ne peut pas, je pense, plaquer de définition sur le terme, et que si on le fait on bannira forcément un grand nombre de personnes du lot. Je préfère qu’on parle d’une nébuleuse culturelle geek dans laquelle s’imbriquent certains éléments hétérogènes (que ce soient des éléments comme certains films ou séries télévisées, des pratiques comme le meme, une forme d’humour, un langage, des formes politiques et économiques….) plutôt que de dire : voici ce qu’est un geek, à savoir un gros à cheveux bouclés avec un t-shirt de superman et qui ne baise pas, rions ensemble de lui, mes frères. Quitte à dénoncer les clichés, autant ne pas en faire de nouveaux soi-même, je ne suis pas Dany Boon. La dernière raison était extrêmement intelligente et particulièrement habile, mais je préfère ne pas la donner.

  4. Thibault P. dit :

    Bonjour. ^^
    Je viens de tomber sur cet article par hasard, et j’apporte un message de soutien et de solidarité à l’auteur, car sa cause n’est pas facile à défendre. ^^ Je suis actuellement étudiant à l’IEP de Toulouse, et je m’intéresse moi aussi aux geeks en tant que phénomène culturel tout à fait passionnant. (Comprenez : J’en suis un…) Mais rassurez vous, cela ne se voit pas, comme quoi on ne peut pas définir le geek par un aspect, une apparence ou des comportements sociaux. Nous parviendrons un jour à démontrer que le geek peut être sociable, j’en suis certain. Mais les clichés sont durs à démanteler. Si à Sciences Po, certains s’intéressent aux geeks, d’autres en ont une vision pour le moins archaïque, et ils sont loin d’être les seuls. Un jour au détour d’un couloir, j’entend : « Tu te déguises en quoi au carnaval? » « En geek, fin… en looseur quoi. » Ca, c’est dit.

    En réalité, s’il y avait une définition du geek à apporter, je dirais plutôt qu’elle serait liée à la passion, tout simplement. Le Geek, c’est l’individu ayant un rapport particulier à ses passions, un rapport… passionnel.
    Le geek, c’est autant l’adolescent collectionneur de figurines Marvel que le paléontologue quarantenaire qui accumule depuis des années des fossiles dans son salon. Le processus est le même, la passion, inextinguible.

    Je dirais également que le Geek est un explorateur des marges culturelles, artistiques et sociales. Il fuit la norme et la masse. J’ai d’ailleurs pu constater au sein des communautés Geek un processus de « répulsion » vis-à-vis de ces individus plats, inintéressants, qui n’apportent rien, ne créent rien (et surtout ne savent pas qui est Feänor, créateur des Silmarils et donc, personnage central de l’Histoire d’Arda, comme tout un chacun le sait).
    Cette attitude explique sans doute la formidable force créatrice et innovatrice du mouvement. D’ailleurs, quoi qu’on en dise, les geeks (les vrais, puisque le geek sait bien qu’il y a un bon geek et un mauvais geek) ont toujours une longueur d’avance sur les initiatives commerciales voulant se réapproprier le mouvement. Et si dans 100 ans le sport internationalement reconnu devient la lan sur Counter Strike, on peut émettre l’hypothèse que les geeks se mettront… au foot.

    En tout cas, intéressant ce petit reportage. J’ai beaucoup reconnu l’influence de « Suck my Geek », le reportage qui m’a fait prendre conscience de ma vraie nature (et au passage, qui me l’a faite accepter.)


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