Quelle lesbienne es-tu ?

"Dyke March" NYC 2011

Le monde lesbien, en bonne sous culture, adore créer des mots. Ils vous permettent de prendre un air intelligent et de marmonner des phrases que les hétéros du coin (et la lesbienne fraichement désemplacardée que l’on veut impressionner) ne vont pas comprendre. J’appartiens à un univers très particulier, cherche pas, t’en fais pas partie / laisse moi t’initier.  Et, comble du bonheur, ils ouvrent des perspectives de gossip et prises de tête indéfinies : le premier support de la créativité linguistique des lesbiennes (jeneferaispasdeblaguevaseuse, jeneferaispasdeblaguevaseuse), c’est bien sûr leurs pratiques, mais surtout, elles-mêmes.  Vous pensiez qu’une fois son coming-out promptement exécuté, sa préférence pour les filles clairement définie, l’affaire était close ? Tant de naïveté, c’est beau…

Certes, le marché amoureux lesbien offre moins de choix que le marché hétéro. Mais, contrairement à ce que certains peuvent penser, la lesbienne célibataire ne drague pas toutes les lesbiennes que le destin pose sur son chemin. Elle a un type de filles. La plupart des expressions lesbiennes tournent autour de cette problématique de la plus haute importance : trouver un mot pour définir cette fille en fonction de ses préférences.

Mais cessons les discriminations ! Pourquoi les lesbiennes seraient les seules à pouvoir jouer avec ces mots là ? Que tu sois femme, homme ou lama, toi aussi, découvre quelle lesbienne sommeille au plus profond de toi.

Prépare toi à une avalanche de termes anglo-saxons, si la culture gay avait été formée en France, ça se saurait (je sais, c’est un choc).

Difficile de passer à côté du stéréotype de la butch et de sa fem, i.e la bucheronne en chemise à carreaux et aux cheveux courts (de toute évidence, c’est elle qui doit faire le garçon), et sa petite amie qui a le droit d’avoir les cheveux un peu plus long, tant qu’elle ne porte pas de maquillage. Apparemment, avoir quinze mots pour la même étiquette, la rend moins ridicule. Si butch ne vous satisfait pas, vous pouvez toujours dire (au choix) : bulldyke, bulldiker, ou bulldiger (un petit effort et vous pourrez bientôt créer vos propres expressions lesbiennes basées sur une douteuse autodérision). Je dois confesser que je n’ai toujours pas compris la supposée différence avec bear dyke : le mot  »bear » est plutôt utiliser par le milieu gay masculin pour désigner un modèle (très très) virile d’homme, fier de ses poils et de sa carrure. Wikipédia nous explique que la bear dyke est  »une lesbienne avec une carrure spécialement large ». Certes.

La chose est plus compliquée du côté des  »fem(s) » : doit-elle vraiment avoir une préférence pour les butch/bulldyke/bulldiger/beardyke, ou s’agit-il simplement d’une femme féminine, auquel cas la fem pourrait être une lipstick ? Certaines n’appellent fem que les lesbiennes féminines qui sortent avec des lesbiennes féminines (et c’est d’ailleurs la définition officielle qu’en a donné The L Word)… Et lipstick les lesbiennes féminines qui sortent avec des lesbiennes masculine. Mais vous pouvez décider d’être une chapstick, si le rouge à lèvre est trop féminin pour vous. Voire même une soft butch. Dans un grand moment de folie, on a même créé la futch, mix de fem et de butch.

Quizz (niveau débutant) : quels adjectifs pour Ellen DeGeneres (à gauche) et Portia de Rossi ?

Bel exemple d’une lipstick (tout est dans la combinaison cheveux longs/robe à fleur) et d’une chapstick (pantalon et chemise à carreaux mais léger maquillage).
NB : pas de négociations possible pour Ellen, c’est elle qui a inventé le terme.

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Mais si tout n’était qu’une question de féminité, ce serait trop simple :

Bisexuelle en mal de créativité linguistique ? Let’s be a bi-dyke / Byke / Half Dyke !

Au contraire, elles vous dégoûtent ? Vous êtes clairement une spyke lesbian.

Coming out frais ? Baby-dyke.

Toujours in the closet ? Le monde lesbien ne vous a pas oublié, chère Dyke in Denial. Vous avez même droit à une abréviation : DID. Champagne.

Une lesbienne yuppie ? Non non… Une luppie.

Tu « épouses une idéologie et une esthétique similaire à celles qui sont populaires parmi les lesbiennes de San Francisco » (quoique cela soit supposé vouloir dire) ? ‘Frisco Dyke !

Dans un souci de simplification évident, on a aussi pensé à des termes  »valise » : butch hispannique ou afro-américaine ? Congrat’, you’re a stud.

Je n’oserais pas insinuer que la multitude des termes, le flou de leur définition et leur tendance à se marcher les uns sur les autres pourrait dénoter de l’iniquité de la chose. Il est toujours difficile de déterminer dans quelle mesure la dénomination relève du foutage de gueule entre amis (toi aussi, tu as tendu un doigt accusateur et traité la moitié de tes connaissances de bobos), d’une technique honteuse mais tristement efficace pour segmenter (et cibler) le marché de la drague dans le bar du coin ( »laisse tomber, c’est une 9, et toi t’es un 6 »), ou d’une façon de passer d’une case rassurante, avec son identité et ses affects, à une autre. Difficile de faire la part entre le risque d’enfermer (une fois de plus) les individus dans une identité qu’ils ne contrôlent pas, et le besoin d’affirmer l’existence d’une telle identité, de nommer pour exister. Il y a probablement autant de définitions du mot butch que de personnes qui pensent être une butch en ce bas monde.

Johanna A. – Sciences Po Strasbourg (Propos).



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