La fin des diamants de sang ?

Le témoignage de Naomi Campbell lors du procès de l’ancien Président libérien Charles Taylor remet sous les feux de l’actualité le problème brûlant des « diamants de sang ». Il est cependant dommage de constater que malgré la médiatisation du trafic de ces pierres, les moyens de lutte contre, eux, restent dans l’ombre.

Rendus connus du grand public grâce au film Blood Diamonds ou encore Lord of war, les « diamants de sang » ou « diamants de conflit » sont une des causes majeures de la guerre civile qui a ravagé la Sierra Leone de 1991 à 2002. Le RUF (Front Révolutionnaire Uni, groupe rebelle sierra léonais), soutenu par Charles Taylor (qui deviendra par la suite Président du Libéria) et commandé par Foday Sankoh a cherché à s’emparer des mines diamantifères, situées principalement à l’Est du pays – à proximité de la frontière libérienne. L’accord entre les deux partis était simple : grâce au soutien matériel et financier de Charles Taylor, le RUF pouvait prendre le contrôle des mines diamantifères et devenir une véritable force d’opposition au pouvoir en place (à l’époque quasi inexistant), en échange de quoi une partie de la production de ces mines revenait à Charles Taylor, pour qu’il puisse prendre le contrôle du Libéria. Comme ça, tout le monde est gagnant !

Le 23 mars 1991, le RUF attaque deux villages sierra léonais et entraîne le début de la guerre civile, qui fera environ 200 000 morts et obligera plus de deux millions de civils à fuir, en particulier dans des camps de réfugiés extrêmement précaires. Pour garantir sa possession des mines de diamants et terroriser la population, le RUF avait recours à de multiples exactions qui font froid dans le dos : saccages de villages, exécutions sommaires, viols, mutilations, embrigadement d’enfants soldats, ou encore esclavage sexuel de femmes et de filles.

Une fois les mines contrôlées par le RUF, les diamants sierra léonais étaient acheminés selon un circuit complexe et illégal au Libéria, où ils devenaient « libériens » et pouvaient donc circuler librement sur le marché des pierres précieuses. Avantage important : ces diamants, qui comptent parmi les plus parfaits du monde, étaient alors vendus aux compagnies à des prix bien inférieurs à ceux du marché, puisque vendus illégalement par le biais de la contrebande. Ce mécanisme a semblé profiter majoritairement à deux compagnies : De Beers (sud-africaine) et Lazare Kaplan International (américaine). Le Libéria s’est donc mis à exporter environ 60 fois plus de diamants qu’il n’en produisait en réalité, alors que les exportations ont chuté vertigineusement en Sierra Leone.

Une fois mis sur le marché, ces diamants sont allés principalement à Anvers (Belgique), capitale internationale du commerce de diamants et coeur de l’industrie diamantaire et revendus en toute légalité, avant de finir chez des particuliers. Bien malgré eux et sans connaissance de cause, ceux-ci ont alimenté l’un des pires conflits sur le sol africain.

Si ces méthodes barbares et ce circuit complexe ont fait l’objet de nombreuses condamnations de la communauté internationale (notamment avec les procès de 2009 au sein du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone), l’utilisation des diamants est –tout comme les exactions commises durant le conflit- moins connues en ce qui concerne les forces gouvernementales et internationales. En clair, on a beaucoup tapé sur les rebelles, et un peu moins sur les autorités.

Comme souvent dans les conflits, les acteurs sont multiples, les enjeux énormes et les responsabilités partagées.

À titre d’exemple, le Gouvernement du Président sierra léonais Ahmed Tejan Kabbah (élu en 1996, pendant la guerre civile) a signé de son côté et en toute légalité des accords de concessions à quatre grandes compagnies principalement (Global Exploration Corporation, Rex Mining Corporation, Diamonds Works et Sierra Rutile-Nord Ressources), alors même que la paix n’est pas revenue dans le pays et que l’exploitation des mines était impossible. Tandis que la population civile était massacrée au nom de la lutte pour l’appropriation des zones d’extraction en question, le Gouvernement se finançait en concédant l’exploitation de ces mêmes mines à des entreprises étrangères, fort peu regardantes sur l’éthique de tels achats. De la même manière, les mercenaires britanniques et sud-américains employés par le Gouvernement (et dont les capacités de violence étaient largement comparables à celles des membres du RUF et sont de plus en plus mises en avant) ont souvent été rémunérés en concessions d’exploitation.

Ainsi, pointer du doigt le RUF pour le rendre unique responsable des crimes commis et du trafic de diamant est aisé… mais erroné : comme souvent dans les conflits, les acteurs sont multiples, les enjeux énormes et les responsabilités partagées.

Et, bien que l’idée de défendre le RUF ne soit pas la mienne, il faut rappeler comme de nombreux groupes rebelles, il a été fondé pour défendre une cause intéressante. Avant sa création, les diamants étaient en grande partie vendus au bénéfice d’une infime minorité de la population, c’est contre ce système que le RUF entendait lutter.

Mais qu’est-ce que Naomi Campbell vient faire là-dedans ?

Pas mal de journaux en ont parlé : Naomi Campbell a été sommée de comparaître lors du procès de Charles Taylor. Pourquoi ?

Après un dîner organisé par Nelson Mandela en 1997, la top-model s’est vue remettre trois diamants bruts par des hommes inconnus. Ces diamants étaient, selon toute apparence, offerts par Charles Taylor, également présent lors du dîner.

Problème : Charles Taylor est actuellement en procès devant la Cour Pénale Internationale pour tous les crimes qu’il a commis et… il a toujours nié avoir été en possession de diamants sierra léonais. Le témoignage de Naomi Campbell constitue donc une preuve qu’il possédait des diamants bruts, donc qu’il se les procurait de manière illégale, directement à la source.

Cependant, l’honneur de la mannequin est sauf (enfin, en ce qui concerne les diamants) ! Elle s’était justifiée en disant en avoir fait don à la fondation Nelson Mandela, refusant d’être en possession de diamants de provenance douteuse. Or, la fondation n’a pu retrouver la trace de ces diamants dans ses comptes. Naomi aurait-elle menti ? Que nenni ! La clé de l’affaire est à chercher en la personne de Jeremy Radcliff, administrateur du fond caritatif de Nelson Mandela. Naomi lui a donné les diamants, histoire de s’en débarrasser en soutenant une cause noble. Il les a conservé chez lui, pour éviter de mêler la fondation à ces tractations douteuses. Depuis, il s’en est excusé et a démissionné.

Pour en revenir au trafic, il est aujourd’hui en passe d’être démantelé.

Afin de prévenir le commerce de diamants générateurs de conflits, plusieurs démarches et accords ont été mis en place au niveau international.

En premier lieu, le système de certification du processus de Kimberley (SCPK) est un mécanisme de certification international permettant de garantir aux acheteurs des diamants exploités légalement et n’étant pas source de conflit. Les États membres (environ 75, dont la Sierra Leone) s’engagent à garantir, par des lois nationales et des contrôles stricts des importations et des exportations, la traçabilité des pierres et de prévenir le trafic des diamants de sang. Chaque exportation de diamants doit s’accompagner d’un certificat du processus valide. Ce système de certification a vu le jour suite à un sommet de différents pays producteurs de diamants à Kimberley (Afrique du Sud) en 2000 et est appliqué depuis 2003. Chaque pays signataire est également forcé de n’acheter des diamants et de les vendre qu’à d’autres pays signataires.

Si ce système comporte de nombreuses limites – notamment dues à la difficulté de lutter contre la contrebande et les problèmes posés par l’identification des diamants -, il tend à prendre une part essentielle dans le commerce des diamants. D’ailleurs, des compagnies comme la De Beers et la Lazar Kaplan International s’engagent actuellement à le respecter.

Les acheteurs de diamants sont désormais en mesure de contrôler la provenance et la légalité des diamants qu’ils s’apprennent à acheter… – à condition qu’ils s’en donnent la peine bien sûr.

Un autre accord entre les pays a été passé pour prévenir les tractations malhonnêtes sur les industries extractives (dont le diamant donc), l’Extractive Industry Transparency Initiative (Initiative pour la Transparence des Industries Extractives). Cette initiative permet de comparer les revenus perçus par le Gouvernement (sous forme de taxes) sur les ressources gazières, minières et forestières, et ce que les particuliers et les firmes paient. La différence équivaut aux problèmes de corruption et de détournement, ou bien à des marges d’erreurs dans la comptabilité. Chaque pays voit ces rapports rendus publics et une mise en oeuvre réussie du processus doit permettre à terme de diminuer les écarts entre paiements et revenus – donc de prévenir une partie des fuites d’argent.

Et en Sierra Leone…

Grâce au travail de l’ONG belge Revenue Development Foundation (RDF) en partenariat avec le Gouvernement de la Sierra Leone et le soutien des Nations Unies, un système de cadastre des concessions de mines (dont les mines de diamants) et des licences d’exploitation est opérationnel depuis 2010. Pour la première fois dans l’histoire du pays, la totalité des concessions accordées par le Gouvernement est répertoriée dans une seule base de données. « Ca a été un vrai travail de Sherlock Holmes de retrouver la trace de toutes les licences : beaucoup avaient disparues, aucune n’était rangée avec les autres, explique Mathis Hemberger, qui travaille pour RDF. Avant notre travail, le Gouvernement n’avait aucune idée du nombre de concessions qu’il avait accordées ! ». Il existe de nombreux types de licences pour exploiter les mines, qui vont du particulier aux grandes firmes et ce nouveau cadastre doit permettre de les dénombrer, de savoir où elles se situent, la valeur de leur exploitation… et surtout de renforcer la régulation du commerce des diamants. En clarifiant la situation des exploitations, le système devrait permettre de limiter les fraudes et donc, en autres, de prévenir les « fuites » de diamants à des fins douteuses. « Le problème du pays, ajoute-il, ce n’est pas tellement le manque d’argent, mais surtout le manque de capacité en management… À cela s’ajoute un énorme problème de corruption, notamment de la part des membres du Gouvernement : sous-payés, il est tentant pour eux d’accepter des pots-de-vin. Les salaires bas facilitent la corruption ! Comment le leur reprocher ? Dans notre cas, la corruption ne porte pas tellement sur l’accord des licences, mais surtout sur la valeur de la production : moins les producteurs en déclarent, et moins ils paient de taxes… Mais il ne faut pas exagérer : tout le système n’est pas corrompu, loin de là». Actuellement, le trafic illégal de diamants est tel, que le Gouvernement gagne plus grâce à l’accord de licences (le permis d’exploitation est payant) que grâce aux impôts sur la production minière, soit environ… vingt millions d’euros en 2009 seulement. Si l’on considère que la Sierra Leone est, malgré ses riches ressources, un des pays les plus pauvres du monde, la situation nous paraît catastrophique. Pourtant, le Gouvernement s’investit beaucoup dans son amélioration : « il a été aisé de travailler pour le Gouvernement sierra léonais qui nous a beaucoup facilité les choses en nous donnant accès à de nombreux documents, voir même un peu trop : tout autre Gouvernement nous aurait accusé d’espionnage ! C’est presque effrayant de voir à quel point on a pu avoir facilement accès à des documents confidentiels », s’inquiète malgré tout Mathis.

Si le but premier de ce cadastre est avant tout de garantir le prélèvement d’impôts pour le Gouvernement et de le maintenir à un niveau correct, il devrait permettre à terme de limiter également le trafic, et donc d’enrayer une partie du processus du trafic de diamants. La Sierra Leone a même adopté une loi pour reconnaître publiquement son existence et sa nécessité.

Freetown - Capitale du Sierra Leone

Alice Gagnant – Sciences Po Grenoble

Sources :



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