La guerre contre les stupéfiants est elle perdue d’avance ?

« Un monde sans drogue est possible » déclarait en 1998 le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, à l’occasion de la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Lors de cette grand-messe, les pays membres des Nations unies se donnèrent dix ans,  pour éradiquer la culture et la demande de drogues illicites mondiales.
La semaine dernière, le gouvernement Californien  a annoncé qu’il proposera un référendum avant la fin de l’année 2010 pour  la légalisation, le contrôle et la taxation d’une des drogues les plus consommées : La marijuana.

Une guerre inefficace contre le trafic et la consommation de stupéfiants

Ce paradoxe entre ces deux évènements montre l’inefficacité évidente de la guerre mondiale faite à la drogue depuis des années et qui ne cesse d’empirer depuis le début de notre siècle. D’une part la demande de drogues n’a cessé de croitre en dépit de quelques stabilisations au cours des dernières années. Le Bureau des Nations unies sur la drogue et le crime (UNODC), à travers son rapport mondial sur les drogues insiste sur l’essor de nouveaux marchés de la drogue comme les pays d’Asie du Sud Est ((Rapport UNODC http://www.unodc.org/unodc/en/data-and-analysis/WDR-2009.html?ref=menutop)). Ces pays atteignent un  niveau de vie et de consommation proche des occidentaux, les stupéfiants deviennent alors plus accessibles et plus prisés. En France, la demande de cannabis a connu une croissance régulière ces 10 dernières années, lui donnant un statut des pays leaders en termes de consommation de cette substance. Et cela malgré la législation la plus sévère en UE. Cette demande qui semble inexorable présente la lutte contre l’offre et la production comme une guerre d’usure, une guerre inefficace et qui ne concerne plus uniquement des enjeux de moralité ou de santé publique mais bel et bien de sureté publique.

En France, l’industrie parallèle du cannabis engendrerait entre 740 et 800 millions d’euros chaque année

Le Mexique est certainement la victime qui en paie le prix le plus fort. Les cartels s’affrontent pour le contrôle du marché d’Amérique du Nord –premier consommateur de cocaïne et de cannabis- . Cette guerre des gangs aurait déjà fait plus de 7000 morts depuis le début de l’année 2010 dans le pays ((http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/07/16/97001-20100716FILWWW00572-mexiquecartels-7000-morts-en-2010.php
)). Le gouvernement Mexicain submergé par l’escalade de la violence, tend à perdre sa souveraineté dans le Nord du pays.  Ainsi le prix prohibitif des substances lié à la forte demande des consommateurs entretient des réseaux mafieux d’envergure. En France, l’industrie parallèle du cannabis engendrerait entre 740 et 800 millions d’euros chaque année selon le journal Le Monde ((http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/04/20/cannabis-pour-une-clean-attitude-par-jean-claude-gabilan_1340106_3232.html
)).  Cette manne aide à développer une criminalité plus armée, plus organisée et qui menace la sauvegarde de l’Etat de droit dans certains quartiers.
Par ailleurs cette guerre est d’autant plus inefficace, qu’elle n’est pas menée de la même manière et avec les même moyens partout. En effet les pays les plus pauvres ont peu de moyens pour endiguer la production de ressources souvent vitales pour leurs habitants. C’est le cas en Afghanistan et au Maroc, les 2 premiers producteurs de Haschich au monde.
Enfin, le cout de la lutte contre le trafic et l’usage de stupéfiants mobilise des moyens financiers et humains très couteux, souvent peu efficaces sur le long terme et qui concernent des délits qui augmentent forcément avec le nombre de consommateurs. Ainsi, les Etats tendent  à dépénaliser le simple usage des produits psychotropes illicites, et devant  l’attrait économique potentiel, songent même à la légalisation.


La nouvelle approche doit- elle être la légalisation ?

La Californie, après les Pays Bas pourrait être la seconde entité étatique du monde à légaliser,  contrôler et taxer la production et la consommation de la drogue la plus répandue sur la planète : Le Cannabis.

Cette réflexion sur la libération des interdictions des drogues apparait de plus en plus plausible, du fait de la généralisation de la consommation et des conséquences graves qu’entrainent les trafics sur la criminalité et la sécurité des Etats. Tout d’abord la légalisation ne concerne que la marijuana. En effet, la légalisation de certaines drogues limiterait dans une large mesure le trafic illicite et mettrait un coup d’arrêt aux sommes faramineuses que touchent les trafiquants en vendant des produits prohibés.
En outre, des vertus thérapeutiques sont reconnues au chanvre pour soigner certains effets négatifs des traitements de lutte contre le cancer par exemple. Puis, la démocratisation mondiale que connait le cannabis depuis les années 1960, ainsi que ses faibles effets de dépendances en font une drogue qui connait des incidences limitées sur la santé et dans la société.
De plus l’augmentation du nombre de fumeurs de joints a vu l’apparition d’un véritable marché et d’une économie autour du cannabis. Un marché agricole, puisque le chanvre, même illégal, est une culture développée dans le monde entier. La Californie est même dotée d’une université qui délivre des diplômes d’Etat, spécialisée dans les métiers du secteur cannabique : Oaksterdam University, située à Oakland. Ainsi les Américains ne se cachent plus de parler de « canabusiness » pour un produit considéré comme drogue par la majorité des Etats de la planète.
Enfin, comme toute drogue contrôlée par l’Etat, ce-dernier encadrerait largement la production et, par conséquent en taxerait généreusement les rentes. Dans le cas de la Californie, cet argument fait poids, puisque l’Etat gouverné par Arnold Schwarzenegger connait des déficits abyssaux et le nombre d’usagers réguliers de cannabis est tel qu’une mesure de ce type devrait rapporter aux alentours de 1,5 millards de dollars par an ((http://www.lejdd.fr/International/USA/Actualite/L-herbe-pour-sauver-la-Californie-77204/
)).

Les arguments invoqués contre sont récurrents : peur de l’augmentation massive d’usagers de drogues, risques de couts sociaux

La légalisation présentée sous cette forme semble proposer de nombreux points positifs. Il faut néanmoins recadrer toute cette approche et ne pas généraliser. D’abord il ne s’agit que du cannabis. En effet, d’autres drogues en étant autorisées pourraient réduire les trafics, néanmoins les drogues de types métamphétamines ou opiacés ont des effets tellement désastreux sur la santé, le comportement et les liens sociaux des individus qu’elles ne pourraient que constituer une menace en étant légalisées. De la même manière il est vrai que plusieurs observateurs ont montré qu’une légalisation de produits interdits ne paralyse que temporairement les réseaux criminels et que la possibilité de consommer des produits différents peut entrainer une plus grande généralisation des autres drogues plus dures et toujours interdites.

Ainsi, de nombreuses voix s’élèvent, surtout en France, contre une dépénalisation voire une légalisation du cannabis, en premier lieu par le chef de l’Etat. Les arguments invoqués sont récurrents. Il s’agit de la peur de l’augmentation massive d’usagers de drogues, des risques de couts sociaux comme l’échec scolaire ou encore des accidents de circulation qui peuvent être provoqués par des personnes sous l’emprise de stupéfiants. Ces préoccupations sont réelles et légitimes, néanmoins rien ne dit qu’une autorisation de certains produits entrainera inéluctablement ces effets.
Tout d’abord l’ofdt (l’observatoire français des drogues et toxicomanies) indique dans un sondage du mois de Juin qu’une majorité large de l’opinion a un mauvais a priori envers les drogues et s’opposeraient à une vente libre ((http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/produits/ttesdrog/percept.html#aff_rech)). En dépit d’un nombre d’usagers réguliers plus important en France que chez ses voisins européens, on remarque qu’une grande partie de la population semble se méfier des substances psychotropes, par conséquent il apparait évident qu’une légalisation n’entrainera pas la déchéance sociale d’une surconsommation décadente. Néanmoins elle permettrait certainement d’enrayer la bonne marche de réseaux de criminalité, assurerait un encadrement sur la qualité des substances distribuées et sur l’âge des consommateurs. Enfin une telle mesure permettrait d’engendrer des sommes intéressantes pour favoriser la sensibilisation et la prévention sur les risques et les dangers de ces produits tout en responsabilisant les citoyens à  les consommer avec modération.

Mesurer les conséquences des interdictions totales par rapport aux conséquences de politiques d’encadrement

La pérennité de la  demande de drogue est un fait incontestable et difficile à freiner, au moins pour certaines d’entre elles. Comme nous n’avons jamais réussi à supprimer le plus vieux métier du monde, nous n’arriverons jamais à annihiler entièrement le trafic de substances psychotropes. Il s’agirait aujourd’hui d’être plus pragmatique, de mesurer les conséquences des interdictions totales par rapport aux conséquences de politiques d’encadrement pour des produits qui seront de toute façon absorbés par une part plus ou moins large de la population.

Enfin les Etats contrôlent et autorisent déjà certaines drogues qui tuent chaque année. Il me semble que les intentions moralisatrices des Etats Providence devraient se concentrer sur les réalités actuelles aussi bien dans les débats sociétaux que dans le cadre de la santé publique en ce qui concerne les drogues.  Je n’ai malheureusement pas l’impression que la grande majorité des personnels politiques actuels soit réellement troublée par l’obsolescence d’une législation qui touche potentiellement plus d’un million français et qui date de 1971.

Nénels – Sciences Po Strasbourg. ((L’opinion développée n’engage que son auteur et non pas la rédaction.))



2 commentaires

  1. Geoffrey dit :

    Arrêtons le défaitisme!
    Sous prétexte que nous n’arrivons pas à limiter le trafic de drogue, il faudrait le légaliser?
    Mais ou va-t-on?
    Quel sorte de pays serions-nous si nous nous inclinions devant ses réseaux mafieux?
    Il nous faudrait donc avouer notre défaite face à ces voyous? Ces crapules?
    Alors tant que nous en sommes, faisons un parallèle avec le commerce des armes, nous n’arrivons pas non plus à l’endiguer, alors légalisons la possessions d’armes à feu! Vous voulez copier les USA? Moi non.
    Nous manquons d’argent ( comme la Californie, quel hasard! ) alors taxons! Bah oui taxons cette drogue!
    Légaliser pour une raison purement financière n’est pas digne d’un pays qui se veut un Etat social comme la France! Car qui consomme cette drogue en plus grande quantité? Ce sont les classes les plus modestes, celles qui n’ont pas les moyens d’acheter les autres drogues, plus dures mais aussi plus chères! Cela entrainerait encore plus de misère sociale, mais aussi plus de dépenses hospitalières car il y aura forcément un accès plus facile, donc plus de consommation!

    Le vrai problème d’une éventuelle légalisation peut se résumer à une réplique d’un film, de « Trainspotting » où le personnage principal dit ‘On se serait shooté à la vitamine C si ça avait été interdit ».
    légaliser le cannabis le rendrait moins intéressant pour le jeune ou moins jeune, car le sentiment d’enfreindre la loi n’est plus là, l’attrait du risque, le petit rituel avec le dealer du coin, le face à face virtuel avec l’autorité disparaitrait, donc il y aurait un attrait moindre! Du coup, celui-ci se rabattrait sur les drogues dures, donc plus dangereuses car encore illégales!

    Ensuite, pour l’immense majorité des gens, des autres jeunes ou moins jeunes, ceux qui ne touchent pas au cannabis, la raison est que c’est illégal et qu’eux veulent respecter la loi, ou tout du moins ils ont trop peur des sanctions! Mais sans sanctions, qu’est-ce qui va les retenir?
    Le prix? Pas sur du tout car le prix baissera forcément avec sa mise sur le marché! Donc rien ne stoppera ces autres personnes à toucher au cannabis et donc de devenir d’éventuels futurs accros!

    Enfin l’argument qui voudrait que l’on puisse contrôler l’âge des consommateurs est pour moi une vaste blague!
    Maintenant que la vente de cigarettes est passée de 16 à 18 ans, vous croyez vraiment que le buraliste va demander la carte d’identité à chaque personne un peu suspecte? Il ne veut pas vexer le client, mais aussi ne pas baisser son chiffre d’affaires! Donc ça sera la même chose pour le cannabis.

    • Nénels dit :

      Mon cher Geoffrey,

      Ton point de vue ne manque pas de bonnes intentions, malheureusement tu dis beaucoup de banalités qui ne sauraient être aussi automatiques que cela.

      D’abord le parallèle avec les armes est tout à fait inopportun. Une drogue comme le Cannabis, c’est environ 1 millions de consommateurs réguliers, qui quoi qu’il arrive continueront de consommer. Il n’y a pas autant d’armes en France ni autant d’usagers d’armes…Les armes ne sont pas une drogue.

      Ensuite, pour ce qui est des classes les plus modestes qui consommeraient des drogues douces parce qu’elles possèdent moins d’argent, il ne faut pas généraliser non plus.
      Si tu observes bien, tu remarqueras que les drogues les plus dures sont consommés presque uniquement dans des quartiers populaires. Les centres pour aider les toxicomanes et les distributeurs de seringues dans certaines villes le sont aussi. Enfin prenons l’exemple du crack, drogue hautement addictive et toxique, elle est le plus consommé dans les 19 et 20ème arrondissement de Paris…Il ne me semble pas qu’il s’agisse des quartiers les plus aisés…

      Enfin moi aussi je vais me permettre de discuter sans preuve statistique. Tu dis que les jeunes fument pour enfreindre la loi. Tu dois, toi-même connaitre des gens qui fument et généralement les gens tentent plutôt d’être tranquille pour fumer leur pétard. C’est un phénomène inter-générationnel qui touche presque tous les ages et des centaines de milliers de personnes.

      Alors que tu le veuilles ou non. Plus la drogue sera difficile à trouver, plus des réseaux criminels seront puissants. La drogue n’est pas une finalité pour eux, il s’agit juste d’une source de revenu facile et confortable. Légaliser certaines substances ne serait pas se rabaisser à eux, mais leur foutre des batons dans les roues !

      Et pour finir, si tu étais déjà allé en Hollande, tu saurais qu’on ne vend pas du cannabis comme des cigarettes et qu’à chaque fois que tu rentres dans un coffee ta piece d identité est automatiquement scannée et enregistré, comme au casino.


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