L’observatoire des séries [4] : Tokenism

Pour les fêtes de fin d’année, notre spécialiste des séries de Sciences Po Strasbourg vous offre une chronique sur les minorités du petit écran et le phénomène des personnage « Token » dans le cadre de l’Observatoire des Séries d’IEP Mag.

 

Si tu connais la série South Park et que tu as déjà regardé plusieurs épisodes, tu auras remarqué (en plus de leur capacité à alterner de très bons avec des merdes) la présence d’un personnage pas comme les autres. Un personnage noir. Oui tu m’as bien entendue, il y a des personnages noirs dans des dessins animés, l’époque Walt Disney est révolue!

Nan je déconne, tu sais comme moi que ce personnage n’a aucun intérêt dans la série à part le fait d’être un « token ». Là je te sens perdu, je sais que tu n’as pas envie de googler le terme, donc je vais venir à ta rescousse. Un « token », dans une série ou un film, est un personnage secondaire issu d’une minorité et sert de quota dans des productions aux personnages souvent très homogènes (blancs, hétéro, attirants).

Du coup les créateurs de South Park ont décidé de se jouer de ce cliché en appelant tout simplement leur personnage Token Black. Comme ça il n’y a pas de doutes, le stéréotype est assumé, et devient même source de blagues récurrentes.

Néanmoins d’autres séries TV n’ont pas eu la présence d’esprit d’assumer le fait que leurs « représentants de minorités » soient des Token, et donc soit d’y remédier, soit de s’en auto-moquer. Ainsi, il y a eu à la télévision américaine (et encore de nos jours) pléthore de séries qui ont recours à ce « truc » pour pouvoir :

1)    Se prévaloir d’une certaine ouverture d’esprit sur le monde et d’une ode à la différence

2)    Faire des blagues racistes/homophobes/etc qui ne passeraient pas s’il n’y avait pas de personnage issu de cette minorité à côté pour rire à la blague avec tous les autres WASP de la série.

 

 

Les minorités ethniques

Evidemment c’est le premier grand « type » de minorités auquel on pense.

Avant les années 2000, il existait deux types de séries ; celles qui étaient pour les blancs, et celles qui étaient pour les noirs (le Prince de Bel Air, The Cosby Show, The Jeffersons, In Living Color).

Cependant, dans les séries pour les blancs, il devait tout de même y avoir un membre du cast qui soit issu d’une minorité ethnique, sinon ce n’était pas « crédible ». Et pour les blancs à cette époque, minorité voulait dire « noir ». Du coup, Arnold et Willy se faisaient adopter par une famille de blancs propres sur eux, Barracuda venait piloter des hélicoptères dans l’Agence tout risques et Ponch faisait le fou sur sa moto dans CHIPs.

On pourrait penser que les mœurs aient évolué et que les scénaristes et les casteurs avec. Pourtant il suffit de regarder les 10 saisons de Friends (oui, « il suffit », ça ne prend que 4 jours, 22 heures et 30 minutes) pour se rendre compte que la représentation des minorités ethniques, ce n’est pas ça qui était le plus important pour eux. Je n’ai pas fait les recherches correctes et appropriées, mais les deux personnages qui m’ont le plus marquée sont Julie (l’asiat’ qui vient pendant quelques épisodes de la saison 2 se mettre entre Ross et Rachel) et Charlie (qui vient dans la saison 9-10 pour se taper Ross pendant quelques épisodes avant de disparaître). Deux personnages marquants en dix saisons. Et marquant est un grand mot pour ce qu’elles ont apporté à la série.

On pourrait « excuser » Friends de ne pas avoir fait cet effort à ses débuts, dans le milieu des années 1990, mais la série s’est étendue jusqu’au 21ème siècle, et le fait qu’elle ne se soit jamais remise en question de ce côté-ci est assez révélateur du petit monde « fermé » dans lequel elle évoluait (d’ailleurs, une vidéo-parodie par Mad TV tourne sur Youtube, à regarder à tout prix).

En réalité, lecteur, tu peux prendre n’importe laquelle de tes séries préférées, et tu remarqueras que la majorité des personnages principaux sont blancs, et que les autres n’ont pas grand intérêt.

 

Lost ? Même s’ils ont tenté de créer un « mélange hétérogène », on se rend bien compte que Jack, Sawyer, Kate, Hugo, Claire et Locke, les personnages principaux, sont très caucasiens.

Gossip Girl ? Tout le travail est fait pour moi ; impossible de trouver un membre régulier du cast qui ne soit pas blanc, riche et beau.

Dexter ? Une mention spéciale à ses personnages hispaniques qui parlent en espagnol quand ils sont en colère parce que c’est ce que les étrangers font dans les séries.

How I Met Your Mother ? Barney a un frère black et gay (TOKEN), Ted a parlé une seule fois d’un date avec une afro-américaine. Robin sort depuis peu avec un psy d’origine indienne. En sept ans. Voilà.

 

En fait la seule qui s’en sorte actuellement, c’est Mad Men. Pas besoin de faire semblant, dans les année 1960 les gens étaient des racistes assumés, et donc pas besoin de Token pour rendre la série plus politiquement correcte.

Certes, Grey’s Anatomy a un peu changé la donne (tu remarqueras que oui, Grey’s anatomy a vraiment eu un impact profond sur quelque chose d’autre que l’adoration des journaux people pour les cheveux de Patrick Dempsey) en mettant en avant des personnages comme Christina, Burke, Webber ou Bailey. Maintenant, Glee surfe sur le créneau « les minorités c’est bien », et surjoue un maximum la carte « Born this way », ce qui contribue à son succès (oui parce qu’en fait, la majorité des spectateurs dans le monde ne sont pas des hommes blancs, jolis et hétéros. Surprise !). The Big Bang Theory a même réussi à faire de Raj un personnage central, même si elle surfe sur la vague « indian power » qui envahit actuellement beaucoup de séries (Outsourced, The good Wife, ER, Heroes).

Ainsi on peut se demander si les séries TV n’entrent pas dans une nouvelle ère, dans laquelle les personnages de minorités ethniques ne seraient pas que des seconds rôles ou des token. Enfin j’attends encore une série sur un « network » dont le personnage principal serait black/asiat/hispanique avec un meilleur ami blanc.

 

Les minorités sexuelles

Il y a deux sortes d’utilisation des personnages LGBT dans les séries TV.

Soit ce sont les acteurs qui sont gays, et du coup les scénaristes peuvent se permettre plus de blagues sur l’homosexualité (dans le sens large du terme, pas forcément vexant ou juste offensant), comme lorsque Neil Patrick Harris dit qu’il ne pourrait pas être gay dans la saison 7 de HIMYM, ou que Modern Family peut se permettre autant de dérapage pour le couple Cameron/Mitchell (Jesse Tyler Ferguson étant ouvertement gay).

Soit la série contient vraiment des personnages queer, auquel cas leur utilisation est variée (lorsque ce n’est pas une série consacrée expressément à ça, e.g The L Word, Lip Service ou Queer as Folks).

Il peut y avoir le personnage ouvertement homo, qui s’assume en tant que tel et du coup est utilisé comme Personnage Homo. Arizona Robbins (GA) est là pour nous montrer qu’on peut être lesbienne et soutenir la guerre en Irak, Oscar (The Office) pour laisser à ses collègues la joie d’exposer toute leur ignorance en matière d’homosexualité, Kalinda (The Good Wife) pour montrer qu’on peut être hétéro ou bi, de toute manière ce qui compte c’est d’utiliser son potentiel sexuel pour avoir ce qu’on veut, et Lafayette (True Blood) nous explique que même en Nouvelle Orléans dans une ville paumée remplie de Rednecks on peut être un homme noir, porter des jupes et appeler ses amis « Biatch ».

D’un autre côté, il y a le personnage refoulé / qui ne sait pas encore qu’il est gay mais va bientôt s’en rendre compte. Pour ça, on a quelques exemples désastreux, comme Callie dans Grey’s anatomy, qui après être passée par la case « je me marie avec un mec (joué par un acteur gay d’ailleurs) » finalement décide qu’elle aime les filles et se case après 2 saisons de « mais si en vrai je préférais les corps musclés aux seins ? mais les filles c’est doux, ah mais je veux un enfants aussi, ah ben je sais plus je vais avoir un accident mortel et survivre, ça ira mieux après ».

Rajoutons une petite dose de « personnage qui devient gay parce qu’on ne sait plus quoi inventer pour lui donner du temps d’antenne » ; Catherine Mayfair dans Desperate Housewives, qui découvre après une saison qu’elle aime bien le décolleté de Julie Benz (qui venait de mourir dans Dexter, donc fallait bien qu’elle s’occupe).

Cependant il y a aussi le personnage gay intéressant. Ca, ça fait un peu bizarre au départ, parce qu’on ne comprend pas bien comment des scénaristes sont enfin parvenus à faire quelque chose de correct avec un personnage non hétéro, donc ça surprend toujours. Et pourtant, David Fischer (Six Feet Under) est parfait dans son rôle de gay refoulé-pas vraiment refoulé-je me tape un policier trop hot qui veut mon corps- finalement je m’assume- mais en fait pas trop.

De même, l’histoire de Emily & Naomi dans les saisons 3 et 4 de Skins a souvent été citée comme une des plus réalistes et crédibles de l’histoire des Séries TV. Pas d’acteurs/actrices qui surjouent, pas de storylines rocambolesques, pas de simplifications ou de clichés, juste des sentiments facilement compréhensible et bien décrits.

Par ailleurs, découvrir que Kerry Weaver (ER) est lesbienne après avoir regardé Urgences pendant des années, et de voir que ça ne change pas totalement la personne qu’elle est, a fait évoluer beaucoup de téléspectateurs en faveur du mouvement LGBT.

Je ne sais pas si on peut vraiment croire en la « force » des séries TV pour faire évoluer les mœurs de cette manière, mais il existe quand même de nombreux témoignages qui valident cette hypothèse (le personnage de Kurt dans Glee a aidé nombre d’adolescents à sortir du placard lorsqu’ils se sont rendus compte que leur parent acceptaient très bien ce personnage).

 

Les minorités moches

J’ai hésité à les mentionner, ces minorités… Mais oui, il existe bel et bien des Token-moches.

Ne dis pas le contraire, tu sais que dans les Séries TV, tout le monde est beau. Bon, peut-être que tout le monde n’est pas à ton goût, mais concrètement, tous les acteurs qui ont été castés l’ont été parce qu’ils pouvaient plaire à une certaine partie de l’audience.

Du coup, quand débarque un personnage qui ne correspond pas à ces critères de beautés, c’est forcément dans un but précis (souvent, pour montrer que l’apparence n’a en fait pas beaucoup d’importance, on est tous trop superficiel t’as vu). Par exemple, lorsque Lauren (Glee) débarque et que ses 400kg arrivent avec elle à la chorale, tout le monde pense qu’elle est mal dans sa peau, jusqu’à découvrir qu’elle s’assume en fait totalement, et n’a aucun égard pour ceux qui ne font pas de même (oui, Glee, c’est profond.)

La série Ugly Betty, quant à elle, essaie de nous faire croire que la beauté extérieure n’est pas importante et que n’importe qui peut réussir avec un peu de volonté et de talent. Il n’empêche qu’en 3 saisons l’actrice au départ moche avait quand même changé de coupe de cheveux, appris à se maquiller et s’habillait en Chanel. Les scénaristes lui avaient juste laissé son appareil dentaire pour nous faire croire qu’elle était encore moche.

Dans Gossip Girl, c’est toujours la fille la plus moche qui se trouve être une belle gosse cachée, se révélant seulement lorsque Dan est tombé amoureux de son charme et son humour. Dans Six Feet Under, Ruth peut tomber amoureuse d’un fleuriste russe parce qu’il est attentionné, même s’il ressemble à un bourreau tout droit sorti d’un goulag de Sibérie.

Et puis il y a les séries dans lesquelles on a l’impression que les acteurs ont été choisis pour leur talent et pas pour leur physique. Sauf qu’on revient vite sur notre première impression. Illustration : tu peux penser que l’acteur de Breaking Bad n’est pas très beau, mais c’est parce que tu ne l’as pas googlé. En effet, le truc encore plus cool que de caster un acteur moche pour un rôle, c’est de caster un acteur BG et ensuite l’enlaidir pour ledit rôle !

 

Finalement, de toutes les séries TV, c’est d’un côté les séries « historiques » qui s’en sortent le mieux, car elles n’ont pas à se soucier de quota pour fonctionner correctement, et de l’autre les séries qui nous font oublier qu’elles sont des fictions, et qui nous empêchent donc de nous demander pourquoi tel personnage a été choisi pour arriver à tel moment. Breaking Bad, Game of Thrones, The Wire, Mad Men font partie de ces rares-là. On ne se pose pas la question « Est-ce qu’ils ont choisi de créer ce personnage pour des histoires de quotas ? » parce qu’on sent qu’elle n’a pas été abordée dans une salle remplie de scénaristes. L’histoire passe avant le politiquement correct et la qualité de la série s’en fait sentir.

Finalement, les séries qui ne souffrent pas du tokenism sont bien celles qui s’en soucient le moins.

Marie Turcan – Sciences Po Strasbourg

 



3 commentaires

  1. Sarah M (Sciences Po Rennes) dit :

    Ow, je réfléchissais aussi à écrire un article sur les tokens, mais j’vois qu’on s’en est déjà pas trop mal chargé! Par contre, Bryan Cranston, BG, ça va beaucoup trop loin.

    • admin dit :

      Si l’envie te prend d’écrire sur les séries pour L’observatoire des séries (sur un autre thème effectivement) n’hésite pas !

  2. Michael dit :

    THEY TOOK MY SON


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