Le service civique: nouvel Eldorado d’une jeunesse au chômage ?

On entend beaucoup parler de la possibilité pour les jeunes de pouvoir s’engager auprès d’une cause d’intérêt général grâce au service civique. Mais de quoi s’agit-il concrètement ? Quels sont les avantages et les inconvénients d’un tel dispositif ? Tentative de réponse avec cette enquête.

Le service civique est un nouveau dispositif préparé par Martin Hirsch alors Haut commissaire à la jeunesse en 2010. Son objectif est de mobiliser les jeunes de 16 à 25 ans en faveur d’une mission relevant de l’intérêt général tout en leur proposant de découvrir la vie active. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un contrat de travail, mais d’un volontariat auprès d’une association, d’une collectivité territoriale, d’une fondation ou encore d’un syndicat.

La structure qui accueille le volontaire y trouve de nombreux avantages. Elle a à sa disposition un jeune motivé qui travaille sur une période de 6 à 12 mois, d’une durée hebdomadaire de 24 heures à 35 heures, et cela pour un coût minime. Quant au jeune volontaire, il a la possibilité de vivre une expérience formatrice sur le plan professionnel et personnel. Il s’agit en effet d’une expérience de vie : travailler en équipe, découvrir le monde associatif et connaitre le monde du travail en France ou à l’étranger. De plus, le service civique indemnise les volontaires, en ce sens il ne s’agit pas d’un salaire. Le jeune perçoit 440 euros financés par l’État et 100 euros financés par la structure d’accueil. Ce dispositif est donc profitable à la fois pour la structure d’accueil comme pour le volontaire.

Cependant, il convient de noter que l’objectif premier du service civique est de créer une mixité sociale. Comme il est écrit dans la loi du 10 mars 2010 : « Le service civique a pour objet de renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale ». C’est pour cette raison que de nombreuses missions permettent de réunir des jeunes provenant d’univers sociaux et culturels différents. L’objectif étant de créer des échanges constructifs et une dynamique commune. Par exemple, Vanina, volontaire à Unis-cité (association incitant les jeunes à consacrer une étape de leur vie à la collectivité), travaille au quotidien avec une étudiante d’Aix en cursus CAP petite enfance, et un Argentin en licence de communication.

En d’autres termes, ce dispositif constitue un palliatif à la fin du service militaire qui avait le mérite d’être « universel et égalitaire » ((GRESLE François, Que sais-je ? Le service national, Éditions PUF, Paris, 1997, 127 pages.)) (mais néanmoins réservé aux hommes) et qui permettait une mixité sociale, et l’amélioration de la cohésion nationale. C’est pourquoi l’agence du service a des objectifs d’ampleur, toucher 40 000 jeunes en 2012, puis 75 000 jeunes en 2015.

POUR QUELLES MISSIONS ?

Les missions proposées sont variées et actualisées sur le site http://www.service-civique.gouv.fr/. Elles touchent de nombreux domaines : environnement, éducation, culture, citoyenneté, santé, handicap, sport, solidarité… Par exemple, Laurie a intégré l’Association Départementale des Francas des Bouches-du-Rhône en septembre 2011. Cette association a pour objectif de promouvoir des actions éducatives envers la jeunesse, c’est justement ce que met en pratique cette volontaire de 23 ans : « Ma mission est de développer un projet de santé/alimentation auprès des centres de loisirs et des centres sociaux. Avec ma responsable, j’élabore des animations, je rencontre les centres et je leur propose des activités. » Après avoir réalisé la moitié de son service civique, Laurie est heureuse de son choix tout à fait cohérent avec sa formation d’animatrice : « L’association me laisse la possibilité d’avoir de l’autonomie. De plus, c’est un travail d’équipe, on partage beaucoup et j’apprends énormément de mes collègues. Il y a une vraie dynamique et une cohésion qu’on ne retrouve pas partout. »

DES DIZAINES D’OFFRES À POURVOIR À PARTIR DE JANVIER 2012

La nouvelle campagne de communication du service civique a été lancée en grande pompe par Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative. C’est justement dans ce cadre que l’association Unis-cité s’investit afin d’informer au quotidien les jeunes sur les possibilités d’accomplir un service civique. Fathia, responsable d’équipe dans l’association propose des missions à Marseille, Miramas, Vitrolles ou encore Aix-en-Provence : « Nous recherchons 16 jeunes pour travailler sur le thème de l’éco-citoyenneté auprès de la ville d’Aix à partir de mars 2012 ».

Unis-cité a une place particulière dans le dispositif service civique car l’association en est l’inspiratrice. C’est pour cette raison qu’elle en fait la promotion au quotidien. Elle met les volontaires recrutés à disposition des structures d’accueil qui en font la demande, tel est le cas de Vanina citée précédemment. Cette dernière élabore deux jours par semaine des projets scientifiques à destination des enfants au Planetarium d’Aix-en-Provence, et le reste du temps, elle réalise des ateliers lectures et des visites guidées à la Bibliothèque Méjanes.

Le réel atout de l’association Unis-cité réside dans le fait qu’elle accompagne l’évolution des volontaires. Comme le met en avant la responsable d’équipe : «  Nous suivons au quotidien 16 volontaires. Nous réalisons un tutorat sur la valorisation de leur parcours, c’est-à-dire que nous leur proposons un portefeuille de compétences sur chacun des projets qu’ils ont accomplis. » De plus, l’association propose des sensibilisations citoyennes à ses volontaires (écologie, engagement…). C’est ainsi par exemple que la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) est intervenue l’année dernière sur le thème de la lutte contre les discriminations. Unis-cité est un modèle dans le dispositif, ce qui n’est pas le cas de toutes les structures.

LES DÉRIVES DU SERVICE CIVIQUE…

Ce dispositif peut-être une chance pour les volontaires, comme il peut être une mauvaise aventure. Pour Imane, son volontariat au sein d’un Centre d’Étude et d’Action Sociale dans les Pays de Loire s’est transformé en enfer « Je ne m’épanouis pas du tout dans ma mission. Je me sens complètement délaissée par mon association qui ne prête pas attention au contenu de mon travail. J’ai perdu toute confiance en moi ». Quant à son tuteur dans la structure, il ne remplit pas sa part du contrat : la former, l’accompagner. Bien au contraire, comme le note la jeune femme de 25 ans en mission rédaction d’articles: « Je me forme toute seule. Mon tuteur m’a donnée des lectures et il m’a dit « la formation c’est apprendre toute seule » ».

L’agence service civique a une obligation de contrôle des structures d’accueil, tel est le rôle des référents départementaux. Or, seulement 20% des structures agrées dans un département sont contrôlées chaque année. Malgré un engagement moral signé par les structures, certaines ne respectent pas les conditions du contrat. Le problème est d’autant plus important que des jeunes de 16 ans, sans expériences professionnelles, peuvent se retrouver isolés dans ces structures d’accueil.

Quand nous interrogeons un référent régional sur cette question (ce dernier souhaitant rester anonyme), il est obligé d’admettre qu’il existe des brèches dans le dispositif. Les référents n’ont pas les moyens humains ni financiers de s’assurer que tout se passe bien. Et pire encore, ils ne peuvent pas non plus savoir si les jeunes sont informés du fait qu’il existe des référents pouvant leur venir en aide : « Il faut que nous passions le message qu’il y a toujours un interlocuteur qui peut les soutenir et jouer un rôle de médiateur. » Or, ce n’est pas le cas.

Mettre un jeune, souvent sans bagages pour faire face à l’adversité, à disposition d’une structure d’accueil, devrait engager davantage la responsabilité de l’État. Le référent régional pense que la solution peut se trouver dans le développement des formations civiques et citoyennes : « Il faut que les jeunes qui se trouvent seuls dans des structures puissent rencontrer d’autres volontaires. Il faut qu’il y ait une mise en relation qui permette de comparer leurs situations et d’échanger leurs connaissances ». Pour le moment, le service civique est très en retard sur cette démarche.

UN NOUVEAU CONTRAT PRÉCAIRE POUR LES JEUNES

Martin Hirsch, aujourd’hui Président de l’agence service civique disait en 2010 à l’occasion d’une rencontre avec des volontaires : « Nous garantissons que le service civique soit accessible à tous, qu’on ne sélectionne pas les jeunes pour leur diplôme, c’est ça le fondement ». Malheureusement, force est de constater que l’essence du dispositif n’est pas respecté. Bien au contraire, ce principe d’égalité est un vain mot dans de nombreuses structures. Certaines associations conçoivent le service civique comme l’opportunité d’avoir un salarié « low cost ». Pire encore, elle ne s’en cache pas. Il suffit de nous rendre sur des sites d’offres d’emplois, tel que « Profilculture ». La commune de Saint Rémy de Provence propose justement un service civique pendant 11 mois à partir du 5 mars 2012, mais pour cela, il faut que le volontaire ait un diplôme en histoire ou médiation culturelle, qu’il maitrise les logiciels informatiques et notamment PAO, et, il est même « indispensable » qu’il ait son permis B et un véhicule personnel. Plus qu’un non respect des principes du service civique, il s’agit d’un détournement du dispositif. Cela va encore plus loin, car quand une volontaire a dénoncé sur le site de l’agence servie civique la mairie de Bordeaux pour ces faits, il a suffi à cette collectivité territoriale de déposer d’autres annonces en supprimant la partie « Description du profil recherché » .

Cette situation est d’autant plus hypocrite car beaucoup savent que le service civique est aussi considéré comme un contrat de travail très précaire. Pour le référent régional de l’agence service civique « c’est en effet un constat que l’on peut faire, après il faut préciser que nous faisons une vérification au moment des demandes d’agrément des structures. On arrive à lire entre les lignes dans leurs demandes et nous pouvons voir si la structures utilise le service civique comme un contrat professionnel à bas coût ». Pour Fathia, responsable d’équipe à Unis-cité, « les jeunes diplômés eux-mêmes viennent faire un service civique car il n’y a pas de boulot. Ils le disent. »

DES SOLUTIONS ?

Nous pouvons donc distinguer deux types de structures, celles qui répondent aux critères et aux objectifs du service civique, et celles qui recherchent des salariés à bas coût. Quant aux jeunes, il y a d’un côté ceux qui veulent faire une pause dans leurs études, ceux qui veulent s’engager et découvrir le monde du travail, et de l’autre, ceux qui sont au chômage et qui n’ont pas d’autres moyens pour travailler que de réaliser ce service civique. Devons-nous accepter cette situation ou bien adapter le dispositif à la situation des jeunes ?

Le taux de chômage des jeunes en France est alarmant et cela depuis des années. Le service civique ne pouvait se transformer qu’en un emploi précaire pour beaucoup de jeunes. Quant aux décideurs politiques ils ne pouvaient l’ignorer. Cela signifie que ce dispositif est une manière indirecte pour l’État d’embaucher des jeunes pour un coût dérisoire. Avoir un diplôme, travailler 35 heures par semaine et être indemnisé en France 540 euros mensuel s’assimile à de l’exploitation. Cette situation n’est pas acceptable pour notre démocratie. Aussi, il est indispensable que le nombre d’heures hebdomadaires réalisé par les volontaires soit réduit et que l’indemnité perçue soit augmentée. Comme le met en avant Hajni Kiss Agostini, directrice des Francas13 : « Nous avons choisi de limiter l’engagement des volontaires à 26 heures par semaine car sinon, cela pourrait s’apparenter à de l’exploitation. »

Mickael Achard – Sciences Po d’Aix



Commenter