Varda that beulah ou l’argot gay

Petite brève linguistique de notre experte en questions d’identité et d’orientation sexuelle.

Lorsque ses portes ne sont pas fermées pour une journée de protestation contre les lois anti-piratage américaines, Wikipédia est incontestablement le meilleur outil de procrastination qu’il soit : au contraire de Youtube, nul besoin d’un fallacieux prétexte pour y poser les pieds, une recherche tout à faire sérieuse sur le mortel sujet qui devrait occuper votre journée, et le monde des hyperliens s’ouvre à vous. Que de passionnantes découvertes sur les 150 différentes races de perruches que le monde abrite, ou sur les secrets de la feuille de rose. Il y a quelques temps, ces balades m’ont menée aux pages les plus mystérieuses, et les plus effrayantes du portail LGBT. Oui, je te parle des pages qui traitent de l’argot gay (gay slang pour les intimes).

On savait déjà que le monde gay (entendez par là  »non-hétérosexuel ») avait ses petits mots pour parler de ses citoyens : les butch (lesbiennes masculines), les lipsticks (lesbienne féminine), les chapstisks (lesbienne moins féminine mais quand même un peu), les bears (gay très viril), les queens (je vous laisse deviner), etc. On savait que le sens de certains d’entre eux nous échappe (‘Frisco dyke, si tu nous entends !). On savait qu’il existe même des expressions qu’un hétéro ne doit pas employer souvent pour parler à sa grand-mère (spécial dédicace au coming-out). Par contre, on ne soupçonnait pas la richesse de ce vocabulaire.

Sans surprise, une bonne partie des mots de l’argot gay sont des adjectifs ou des noms utilisés pour désigner les gays eux-mêmes, la plupart du temps en fonction de leurs préférences sexuelles ou de leur apparence (les deux sont supposées être liées… que celui qui pense me faire croire qu’il n’a jamais cherché à évaluer les probabilités que Pablo soit gay en fonction de ses vêtements et de ses manières se jette la première pierre). Mes préférées : le pocket gay (gay de petite taille), le panda (bear asiatique), la rice queen (gay non asiatique à fond sur les asiatiques) et son petit ami la potato queen (et vice versa), le clone (on parle du stéréotype gay à moustache, manteau de cuir et jean serré des années 80), et le leatherman (de leather, cuir en anglais). De même, on croise beaucoup de termes qui désignent des pratiques sexuelles réputées particulières au monde gay. Les gays ne sont pas les seuls à les pratiquer, loin de là. Mais les tabous sexuels ont toujours été moins forts dans le monde gay (coucou ! J’ai relativisé la notion de perversion sexuelle depuis que ma vie amoureuse est supposée en être une!). Les gays en parlent, et pour en parler, ils ont besoin de mots : on aime le cottaging (avoir des rapports sexuels dans les toilettes publics),  le felching (exécuter un anulingus – apparemment OpenOffice non), et le dock (je vous laisse découvrir, une sombre histoire de prépuce et de plaisir sexuel). On kiffe moins la do-me-queen (qui profite de vos dons sexuels sans se soucier de votre plaisir) et le barebacking (sexe non protégé). L’argot gay a aussi inventé tout un tas de petits mots pour faire référence aux organes génitaux : dicklet désigne le pénis d’un transsexuel (de femme à homme – et une transsexuelle  »est devenue » une femme), mais je vous laisse découvrir vous-même le sens du mot mangina.

Bien sûr, on trouve tout un tas d’expressions et de termes relatifs aux  »petits inconvénients » que la perception de l’homosexualité dans la société peut avoir (par perception, j’emploie un doux euphémisme). Le fameux closet/placard et son coming-out. Mais aussi les glass-closets (pour les gays tellement doués que tout le monde les a captés), ou la possibilité de drop a hair pin, i.e la célèbre boulette qui te out plus vite que ton ombre. Personnellement, je trouve que l’existence même du mot beard est parlante : votre beard, c’est votre alibi officiel. La lesbienne que vous présentez à votre famille/vos collègues comme votre petite amie, et qui vous présente aux siens comme son fiancé.

Dans la catégorie  »refoulés », on peut citer le gay-until-graduation (si vous êtes fou, vous pouvez même dire GUG), la hasbian ( »en 1966, j’ai été lesbienne »), et son pote le yestergay. Ces petits coquins de gay sont friands de jeux de mots. Ainsi, la lezploitation désigne l’utilisation par les publicitaires de l’image des lesbiennes pour attirer les hommes hétérosexuels…

Les mots sous lesquels je viens de vous noyer ne sont que des exemples parmi d’autres… Je n’ai pas parlé d’argot par hasard : au Royaume-Uni, dans les années 50 et 60, le polari (dont le titre de cet article est un bel exemple) était couramment parlé dans la communauté homosexuelle. La communauté homosexuelle d’Afrique du sud en avait d’ailleurs tiré (en le mêlant à d’autres argots) son propre argot, le gail language. A vrai dire, j’avais dans l’idée de commencer un énième virulent article sur la pertinence de tous ces termes destinés à différencier les individus en fonction de leurs pratiques sexuelles : même si la plupart de ces mots sont en partie des privates jokes qui se reproduisent dans le temps, s’ils existent, c’est bien qu’ils répondent à un besoin. Celui de créer des dizaines de petites cases pour être certain que personne n’y échappe ? Peut-être. Cependant, on peut aussi remarquer que ce genre de vocabulaire, et tous les autres types de codes, se développent particulièrement là où l’identité sexuelle est porteuse d’un enjeu : lorsqu’elle est politisée comme aux Etats-Unis ; ou lorsque cacher son homosexualité est une nécessité (quelle autre solution alors que celle de créer des codes ?). Ainsi, l’homosexualité n’a été au Royaume-Uni dépénalisée qu’en 1967 (Sexual Offenses Act… le titre est relativement parlant). La plupart des mots propres à la communauté gay utilisés en France ne sont que des transpositions de l’anglais : depuis la promulgation du Code Civil, si elle était considérée comme une maladie mentale jusqu’en 1981, l’homosexualité ne constituait pas un délit en elle-même. L’homosexualité est en France moins que dans d’autres pays porteuse d’enjeux politiques: le mariage homosexuel et l’homoparentalité suscitent des débats, mais ceux-ci  sont loin d’occuper une place primordiale dans le débat politique. Aussi, s’ils répondent à un besoin, c’est peut-être avant tout celui d’affirmer l’existence d’une certaine identité. On peut ne pas approuver les façons dont elle  s’exprime, ou les formes qu’elle prend. Mais on peut difficilement condamner le besoin.

Johanna A – Sciences Po Strasbourg – Zinzolines.



3 commentaires

  1. Nalime dit :

    « Lorsque ses portes ne sont pas ferméeS pour une journée de protestation contre les lois anti-piratage américaineS (ou alors « anti-piratage américain », quoique…), »

    « Il y A quelques temps, ces ballades (ballades??? balades vous voulez dire) m’ont menéE (vous êtes une femme d’après la signature) aux pages les plus mystérieuses, et les plus effrayantes du portail…3

    j’ai arrêté de lire après un paragraphe… dommage le sujet m’intéressait…

  2. Johanna A. dit :

    Désolée pour cette regrettable confusion entre deux fichiers…

    Les fautes ont été corrigées.

  3. Aurélien Cotentin dit :

    « Adieu lesbiennes refoulées, surexcitées
    Qui cherchent dans leur féminité une raison d’exister
    Adieu ceux qui vivent à travers leur sexualité
    Danser sur des chariots? C’est ça votre fierté?

    Les bisounours et leur pouvoir de l’arc-en-ciel
    Qui voudraient me faire croire qu’être hétéro c’est à l’ancienne

    Tellement, tellement susceptibles
    Pour prouver que t’es pas homophobe faudra bientôt que tu suces des types »


Commenter Nalime