[1] Pauvre Défense


En ce grand jour de grand remaniement ministériel, IEP Mag lance une « Série spéciale Ministères », avec des articles tout au long des jours à venir concernant les problématiques des grands ministères français : Santé, Intérieur, Education Nationale, Culture et pour commencer la Défense. N’hésitez pas à nous envoyer vos contributions !

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Pauvre défense, ou Le « Charles de Gaulle », ce mal nommé

On avait presque commencé à les oublier, mais voici que les avaries de notre (très) cher porte-avion refont surface… avec sa remise à flots, et après une trentaine de mois d’entretiens. Bien malgré lui, le vénérable porte-avion illustre les déboires de toute une politique. Pour ajouter au comique de la situation, cela fait dix ans que le supposé obsolète « Foch » rend de bons et loyaux services sous la bannière auriverde.

Au-delà d’un énième pépin technique, chose hélas anecdotique, il est désormais temps de tirer les enseignements d’une politique de Défense largement à l’image des autres politiques suivies depuis trois ans, et faites de gesticulations.

Revenons-en donc au Livre blanc sur la Défense de juin 2008, dont on admet qu’il guide l’actuelle politique de Défense française. En insistant sur la nécessité de développer les capacités de projection et de réduire la présence aux frontières de l’Est, on tournait enfin, avec 15 ans (!) de retard, la page de la guerre froide. Pour vagues qu’elles étaient, les intentions allaient globalement dans le bon sens, avec le bémol du retour dans le commandement intégré de l’OTAN.

Pour autant, il y a loin de la coupe aux lèvres, et malgré les ambitions affichées à l’époque, le bilan à mi-parcours du quinquennat n’est guère reluisant. Entre héritage gaullien revendiqué et atlantisme assumé, la France se cherche une stratégie. Elle tient certes son rang dans la lutte contre le terrorisme, mais disparaît peu à peu de l’échiquier stratégique mondial. Faute de moyens, entend-on fréquemment.

La France pointe au deuxième rang européen pour ce qui est des dépenses militaires

Sous-financée, la Défense française ? Bigre ! Que l’on considère les valeurs relatives ou absolues, la France pointe au deuxième rang européen pour ce qui est des dépenses militaires, derrière la Grèce ou la Grande-Bretagne. Bien davantage, le budget de la rue Saint-Dominique a été l’un des moins atteints par les réductions budgétaires décidées depuis le déclenchement de la crise. On passera notamment sur l’absurdité économique du « Pentagone » de Balard, le coût astronomique des retraites militaires (dont les conditions rendraient jaloux les « roulants » de la SNCF).

Certes, l’inadaptation de l’outil militaire français au monde post-bipolaire rend nos forces moins efficaces que d’autres à budget constant, mais à qui le reprocher sinon à un état-major à la réactivité douteuse, et qui a longtemps refusé toute rationalisation des moyens ?

En somme, la France aborde la nouvelle décennie en étant partout et nulle part.

Ses bérets verts désormais peuvent contempler le détroit d’Ormuz, mais n’ont guère d’autre choix que de brûler un cierge à l’oncle Sam en cas de conflit régional. Ses représentants sont de retour à Bruxelles, mais ne font qu’entériner les choix américains – moyennant 60 millions d’euros annuels. Le « Charles de Gaulle » devait être le vecteur permettant à la France d’être présente sur divers théâtres d’opérations, mais son horizon se résume à la Rade de Toulon. En parallèle, Paris continue de prôner une Europe de la Défense dont ses partenaires continentaux n’ont jamais réellement voulu, et qu’elle a elle-même sabordée en ne réalisant pas de porte-avion avec une Grande-Bretagne alors désireuse de mutualiser certains moyens.

La cohérence de la Défense version Sarkozy reste pour l’heure l’Arlésienne de ce quinquennat.

Au final, la politique de Défense porte la marque du sarkozysme : un pilotage à vue sans vision à long terme, et que tente de masquer un activisme de façade. L’héritage n’était certes pas fameux, mais le legs s’annonce comme un boulet aux pieds du prochain gouvernement.

On ne saurait tirer de conclusion trop hâtive des deux années écoulées, tant la politique étrangère en général, et de Défense en particulier, obéissent à des temps plus longs. Pour autant, la cohérence de la Défense version Sarkozy reste pour l’heure l’Arlésienne de ce quinquennat.

A défaut d’enfin la faire apparaître, au moins pourrait-on avoir la décence de débaptiser le « Charles de Gaulle ».

Pierre Niocel ((L’opinion développée n’engage que son auteur et non pas la rédaction.)) – IEP d’Aix – Article publié dans le journal Controverses –



11 commentaires

  1. Vincent dit :

    « la France pointe au deuxième rang européen pour ce qui est des dépenses militaires, derrière la Grèce ou la Grande-Bretagne. »

    2 pays devant la France donc elle est 2ème. D’accord.

    • admin dit :

      « valeurs relatives ou absolues »

      Valeur relative : part du budget dans le PNB ou PIB.

      En valeur relative, la France est deuxième derrière la Grèce.
      En valeur absolue, la France est deuxième derrière le Royaume-Uni.

  2. Antoine Virgaux dit :

    Un article sur la défense sans aucune mention de la capacité nucléaire ?

  3. Makk dit :

    Pourquoi le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN serait-il « un bémol »?

    Et en quoi l’outil militaire français serait-il inadapté au monde post-bipolaire?

  4. Pierre Niocel dit :

    En réponse à vos commentaires:

    – @ Antoine Virgaud, le nucléaire n’est pas évoqué parceque non-concerné par les réformes entreprises durant le quiquennat en cours (si ce n’est un vague engagement dans le traité de Lisbonne).

    -@ Makk, pour ce qui est du « bémol » de l’OTAN, c’est à mon avis le seul projet du Livre blanc qui n’allait pas dans le bon sens.
    L’outil militaire français était, durant la guerre froide, conçu pour arrêter une offensive conventionnelle venant de l’Est. Depuis 20 ans, ce n’est plus la première menace potentielle, mais nous avons mis du temps à en prendre acte…

    Pour rebondir sur ce dernier point, le gouvernement actuel n’est pas le seul coupable. Faute d’avoir entrepris une réflexion de fond en leur temps, les précédents gouvernants, Jospin en tête, lui ont refilé la patate chaude.

    • Makk dit :

      Enfin, sur l’inadaptation de notre outil de défense, je ne partage pas votre point de vue. L’armée française a considérablement évolué en 20 ans ! Il suffit de mettre en perspective le nombre des chars et de soldats aujourd’hui et en 1980 et de comparer la place de la dissuasion nucléaire dans notre arsenal !!

      La réforme de l’outil militaire est un vaste chantier et de longue haleine, mais, contrairement à ce que vous dites, il a été entrepris relativement tôt! Les armées n’ont pas attendu 2008 et le livre blanc pour s’adapter à leur nouveau contexte stratégique : professionnalisation des armées en 1996, réorientation des programmes industriels vers les opérations expéditionnaires (A400, BPC, porte-avions, drones, hélicoptères de transport etc..) … La France est aujourd’hui un des rares nations à être en mesure d’envoyer des forces sur des théâtres extérieurs en toute indépendance et les efforts entrepris en matière industrielle et militaires visent à renforcer cette qualité. Notre outil de défense ne me paraît donc pas inadapté…

      Et je ne dirai pas comme vous « pauvre défense ». Même si nos moyens sont limités, nous restons une des rares nations à disposer et être en mesure de produire l’ensemble de la gamme de outils militaires : satellites, drones, blindés, armes de poing, frégates, porte-avions, chasseurs, missiles de croisière, de supériorité aérienne, air-som (etc..), défense anti-missile… Nous devrions plutôt nous réjouir avec un budget 20 fois inférieur à celui des Etats-Unis de disposer ENCORE de cette indépendance !

  5. Makk dit :

    Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN est pourtant loin d’être un bémol. Les français ont l’habitude de révasser à une défense européenne sous leur direction et opposent celle-ci à l’OTAN. Or, hors de nos frontières, peu d’européens épousent notre opinion. Pour eux, les Etats-Unis constituent l’ultime garant de la sécurité européenne et ils sont loin d’accepter de sacrifier cette réalité aux fantasmes français. Mais depuis le retour des français, force est de constater que nous effrayons moins nos partenaires européens et que nos initiatives en matière de défense européennes recueillent plus d’échos. Enfin, l’OTAN n’est plus ce qu’elle était avant 1990. C’est une organisation qui a évolué et la France, selon les voeux de Sarkozy, peut contribuer à européaniser cette alliance.

    Deuxio, je pense que la France a plus à perdre qu’à gagner à rester hors de l’alliance ; il suffit de se rappeler des performances calamiteuses de l’armée française dans le Golfe en 1991, des leçons qu’en a retiré Mitterand et du rapprochement consécutif avec l’OTAN dans les années qui suivirent! l’OTAN est un cadre effectif de coopération et la France bénéficie des innovations matérielles et doctrinales qui sont élaborées en son sein.

    • Pierre Niocel dit :

      Pour la plupart des pays européens, l’OTAN n’est pas l’antithèse de la Défense européenne: elle EST la Défense européenne. Le débat n’est donc plus vraiment sur ce point.
      A mon sens, le retour dans le commandement intégré n’a aucune utilité réelle en l’absence d’un bloc équivalent en face – rôle que ne remplit pas la Russie. A plus forte raison, alors que l’on fait enfin des efforts sur les capacités de projection, il apparaît peu judicieux de réduire notre autonomie de commandement…

  6. […] la suite du remaniement ministériel et dans le cadre de notre série spéciale lancée hier, un contributeur régulier d’IEP Mag, Isaac, revient sur les raisons et les conséquences de […]

  7. Youpla dit :

    La politique de défense française est celle d’un atlantisme mal assumé. Sarkozy s’attache à Obama tout en entretenant des rêves de grandeur. Seulement des investissements brusques ne compensent pas un déficit de stratégie qui remonte aux années Giscard voire Pompidou.

    Alors que la Russie par exemple dispose encore de fleurons tels que Tula ou Izhmash dans l’armement léger (on est pas près de faire mieux que l’AK-47), on est condamné à fermer nos pôles d’excellence (manufacture d’armes de Saint Etienne), et donc à compenser par des investissement absurdes et pas forcément efficaces.

    Si je ne me trompe pas, les munitions de FAMAS de nos soldats sont d’une qualité médiocre et même plus fabriquées en France…

  8. […] le cadre de notre « Série spéciale Ministères », après avoir abordé le thème de la Défense, IEP Mag revient sur le sujet épineux de la Santé (qui, c’est à noter, n’est plus un […]


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