[2] Très chère Santé : labos et lobbies

Comprimé Tamiflu

Dans le cadre de notre « Série spéciale Ministères », après avoir abordé le thème de la Défense, IEP Mag revient sur le sujet épineux de la Santé (qui, c’est à noter, n’est plus un ministère à part entière) et plus particulièrement sur les rapports ambigus qu’entretiennent pouvoirs publics, médecins et laboratoires pharmaceutiques.

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Le Français est malade.

Il consomme deux fois plus de médicaments qu’un Danois ou qu’un Néerlandais. Pire encore, on n’aurait pu croire les Anglais déprimés par le pire des maux qui sévit sans cesse sur leur île : la pluie. Non, ils font face, et nous, nous sombrons en ingurgitant près de 80% de médocs en plus que ces résistants de Britanniques.

La faute à qui ? La faute au Français bien sûr, toujours prêt à se rendre chez son médecin pour le plus petit des bobos. Oui, le Français est accroc. Il ne supporte pas qu’on lui refuse une prescription. Pour commencer sa dure journée, le Français, tout gourmand qu’il est, ne peut se passer de ses vitamines anti-fatigue, de son antidépresseur, et avant d’aller se coucher ce même Français, qui ne rêve que d’un sommeil des plus confortables se paye le luxe de s’ingurgiter un somnifère. Et tout ça au frais du contribuable, sur notre dos (moi qui souffre déjà d’une scoliose). Heureusement, les choses changent. Le Français va maintenant devoir mettre la main à la poche pour pouvoir continuer à profiter de ses médocs. Il n’ira plus se faire opérer gratuitement ou porter des lunettes offertes par la Sécurité Sociale. Ouf ! Roselyne Bachelot en est convaincue, c’est la solution.

Prescrire, encore prescrire, toujours prescrire

Pourquoi ? Parce que cette Sécu, le Français l’a ruinée et pour cela il doit payer ! Mais qui donc a excité chez le Français cet appétit pour le médicament. Pourquoi court-il toujours après son médecin pour qu’il lui fournisse sa dose et pourquoi ce dernier répond-il toujours présent dans 90% des cas?

Mais qui sont ces curieux visiteurs qui viennent donner des leçons aux médecins ?

Pour tenter de répondre à ces questions existentielles, il faut se pencher sur le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) rendu à la ministre de la santé Roselyne Bachelot en 2007. A la lecture de ses lignes, on comprend mieux pourquoi nos médecins sont très souvent prompts à prescrire. Plus de 95% d’entre eux reçoivent en effet des Visiteurs médicaux dans leur cabinet chargés de les « informer » sur les prescriptions de médicaments. Quel médicament prescrire ? Pourquoi ? Quels en sont les effets ? Mais qui sont ces curieux visiteurs qui viennent donner des leçons aux médecins ? Plus de 20 000 en France, ils sont employés dans l’industrie pharmaceutique. Ces gusses ne se déplacent pas seulement pour informer mais surtout pour promouvoir des médicaments mis sur le marché par leur employeur. Et le visiteur médical a plutôt intérêt à être efficace car s’il parvient à convaincre les médecins de prescrire les médocs du labo pour lequel il travaille et qu’il atteint les objectifs de vente fixés, il peut alors espérer toucher des primes atteignant jusqu’à 30% de son salaire. La logique est alors claire, il faut vendre du médicament et pour cela l’industrie pharmaceutique ne lésine pas sur les moyens. Les visiteurs médicaux qu’elle emploie ajoutés aux coûts des campagnes publicitaires ventant les mérites de ses produits dans la presse médicale représentent en moyenne 12% de son chiffre d’affaires en France.

Mais alors où est le problème si ces médicaments prescrits permettent de soigner les patients ? Tout d’abord, comme le révélait l’UFC Que Choisir en septembre 2007, les labos, par l’intermédiaire des visiteurs médicaux qu’ils embauchent, ont une forte tendance à promouvoir les médicaments encore brevetés tout nouvellement disponibles sur le marché. Ses médicaments ne sont pas toujours plus efficaces que les génériques (médocs dont le brevet a expiré) mais peu importe, ils sont plus chers et rapportent donc davantage. Ainsi sur seulement trois classes de médocs étudiés par l’UFC, entre 2002 et 2006, c’est 650 millions d’euros qui auraient pu être économisés en prescrivant des produits moins chers et de même qualité. La sécu trinque…à la santé des labos. Ajoutons à cela que ces énervés de gauchistes de l’UFC, toujours enclin à jalouser les profits des autres, ne sont pas les seuls à dénoncer les dérives de l’industrie pharmaceutique.

Sur 109 nouveaux produits mis sur le marché en 2009, seuls 3 présenteraient un intérêt thérapeutique.

La revue médicale indépendante (oui ça existe) Prescrire enfonce le clou quant aux visiteurs médicaux. Selon une étude qu’elle a réalisée entre 1999 et 2006 grâce à la participation de médecins volontaires, dans 70% des cas le visiteur médical ne présente pas spontanément les effets indésirables des médicaments promus. Bravo l’information objective au service de l’intérêt général ! En outre, une autre étude réalisée par la même revue indique clairement que sur 109 nouveaux produits mis sur le marché en 2009, seuls 3 présentent un intérêt thérapeutique alors que plus de 60 ne sont d’aucune utilité et que 19 sont porteurs de risques disproportionnés pour les patients. Mais comment est-ce possible ? Comment ces médicaments qui ne servent à rien ou voire même nuisent à notre la santé ont-ils pu être autorisés sur le marché ?

Quand indépendance rime avec inexistence

Le rapport d’information de la Commission des affaires sociales du Sénat en juin 2006 nous apportent quelques éléments de réponses. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), chargée d’autoriser ou non la mise sur le marché d’un médicament, apprend-on, dépend à près de 80% des taxes que lui versent les labos pharmaceutiques au moment de la dépose de leur dossier. Et les rapporteurs de la commission de souligner qu’un financement public plus important de l’AFSSAPS, comme c’était le cas il y a encore quelques années, garantirait davantage son indépendance. On saisit maintenant un peu mieux comment le trou de la sécu se dilate pour maintenant s’apparenter à un gouffre.

Des laboratoires qui incitent les médecins à prescrire le plus possible les médicaments les plus chers, une agence de contrôle tellement indépendante qu’elle ne se gène pas pour nous refourguer des produits dégueulasses et maintenant ce sont les patients, conditionnés par le système en place pour ingurgiter du médoc, qui vont devoir payer pour remédier à ces dérives nous promet-on dans le budeget 2011 de la sécu. Si ces abus ne sont pas empêchés par la loi, alors lesdits patients peuvent se préparer à devoir payer davantage chaque année et à voir leur système de protection sociale partir en fumée. En effet, on voit mal comment le déficit de la sécu pourrait se réduire si la même logique marchande continue de prévaloir.

Aucun  labo n’a eu à se soumettre à un quelconque serment d’Hippocrate.

Notre espoir reposait il y a quelques mois encore sur Roselyne Bachelot (c’est vous dire si la situation est catastrophique). On attendait en effet d’elle qu’elle réagisse avec fermeté contre les méthodes scandaleuses employées par l’industrie pharmaceutique une fois qu’elle avait les mains libres et qu’elle ne travaillait plus pour les labos comme c’était encore le cas quand elle était en même temps députée en 1989. Madame la Ministre se devait d’avoir la main ferme comme elle a su l’avoir lors de la débâcle des Bleus au dernier mondial. Elle avait alors déclaré : « une charte de la déontologie a été instituée dans le football en 2008, elle a été foulée aux pieds. Je veux qu’avant une compétition internationale (…), elle fasse l’objet d’une lecture solennelle et d’une signature non moins solennelle de chacun des joueurs ». Mais aucun  labo n’a eu à se soumettre à un quelconque serment d’Hippocrate. Et on peut se questionner sur la priorité donnée à ce dossier par Xavier Bertrand, nouveau ministre du Travail, de l’Emploi… et de la santé.

Article publié dans Propos – Maxime Ohron [Article MAJ par la rédaction d’IEP Mag] – Sciences Po Strasbourg ((L’opinion développée n’engage que son auteur et non pas la rédaction.))



17 commentaires

  1. Orhon Maxime dit :

    Bonjour,
    Je voudrais bien savoir qui a posté cet article.
    Il est écrit à la fin qu’il a été écrit par moi-même, ce qui est vrai, mais vous pourriez souligner qu’il a été transformé.(par qui au fait?)
    Il serait d’ailleurs sympathique d’avertir avant de changer quelques lignes de mon article et de le publier.

    Bien cordialement

    M Orhon

    • admin dit :

      La rédaction d’IEP Mag a effectivement changé le temps de la phrase sur Mme Bachelot et ajouté une phrase de conclusion sur M. Bertrand. Une « transformation » s’il en est 🙂
      Propos est partenaire d’IEP Mag et les deux journaux peuvent publier les articles de l’autre sauf avis contraire de l’auteur. Souhaitez-vous voir votre article retiré ?
      Un message avait par ailleurs été envoyé sur Facebook à M Orhon pour confirmer la publication mais peut être n’est-ce pas vous.
      Toutes nos excuses.

  2. Compte tenu du commentaire précédent de l’auteur originaire, je ne sais ce qu’il en est de la version originale. On attend d’étudiants de Sciences Politiques un peu plus de travail et d’actualisation dans leurs sources…les choses ont changé et sachez que X. Bertrand n’a jamais été tendre avec les laboratoires pharmaceutiques qui sont soumis à des contrôles plus que n’importe quelle autre industrie. C’est une cible facile. Il y a eu des dérives en matière de promotion qui ont été sanctionnées, y compris en interne. pour ce qui est de l’intérêt thérapeutique, contactez moi pour un cours complet sur les ASMR avant de ne retenir que 3 produits par an..
    Vous êtes supposé à faire partie de l’élite de la société, cela implique de la liberté d’esprit mais aussi une certaine responsabilité dans les propos publiques…
    M. Orhon..prêt à débattre avec vous aussi 😉

    • F-X A dit :

      Je suis sidéré par ce commentaire. Quel est son intérêt si ce n’est défendre bec et ongle les laboratoires pharmaceutiques.

      Vous dénoncez des procédés utilisés selon vous dans l’article, que vous amplifiez et utilisez vous même :

      – Le doute mis sur Xavier Bertrand porte sur l’intitulé et l’étendue du ministère, pas sur sa personne. Mais étant donné que vous affirmez qu’il n’est « pas tendre avec les labos », merci de prouvez vos propos : des déclarations ? des actions concrètes ? (Ca m’intéresse vraiment.)

      – « Les labos sont une cible facile. » Intéressant compte tenu de la rapidité et de la pugnacité de votre réponse. Intéressant également que le sujet soit rarement voire jamais abordé par les principaux médias contrairement aux abus des autres industries pétrochimiques ou agroalimentaires.

      – « Contactez moi pour un cours complet ».
      Quel argument ! Ça donne vraiment envie…

      – « Les choses ont changé » Ah et bien nous voilà rassurés ! Depuis quand ? A quel propos ? Dans quelle mesure ?
      Si c’est depuis Bachelot, quel progrès fulgurant en… 3jours.

      En bref, votre commentaire, contrairement à l’article, ne contient strictement aucun fond: aucun argument, aucun fait, aucune source.

    • ORHON dit :

      Bonjour Guillaume,

      Je fais de mon mieux pour être responsable, mais si jamais je dérape vous pouvez toujours me dire sur quel point, je suis ouvert.
      Concernant le niveau si exigent que vous attendez de « l’élite de la société », je vous dirais qu’on peut bien faire partie de « l’élite » et avoir du mal à prédire le futur. Tout ça pour vous dire qu’au moment où j’ai écrit cet article Bertrand n’était encore que le chef de la majorité.
      J’espère en tout cas qu’il saura être aussi ferme que vous le dîtes avec les labos.
      D’ailleurs pourquoi le dîtes-vous?

      Responsablement

      Maxime Orhon

    • Vincent dit :

      A noter que M. de Durat est, comme indiqué sur son blog, ancien secrétaire général adjoint du LEEM (Les Entreprises du Médicament).

      Epic Fail.

      Ce détail aurait pu être mentionné, au moins par honnêteté intellectuelle.

      Mais visiblement le sujet des laboratoires pharmaceutiques est encore plus sensible que celui de la Défense. On a un secrétaire général adjoint qui re-twitte l’article quand même !

      P.S: Vous êtes supposé à faire partie (sic) d’une institution nationale, cela implique de savoir écrire le français à peu près correctement et d’apporter des arguments à ses propos.

      • ORHON dit :

        Merci Vincent pour cette précision non négligeable.

        Alice, si tu veux des informations on ne peut plus récentes, tu peux aller sur le site de l’Express et lire l’article intitulé  » Tous ceux qui ont pris du Mediator doivent consulter ». On y apprend, contrairement à ce qu’affirme Guillaume de Durat, ancien secrétaire générale adjoint de LEEM qui était entre autres chargé de faire du lobby auprès des autorités, que les dérives continuent dans le domaine de la prescription de médicaments.
        En effet, l’Afssaps estime que 20% des prescriptions du médicament Mediator(anti-diabétique) étaient sans rapport avec la lutte contre le diabète mais plutôt destinées à des personnes voulant perdre du poids. Le Mediator serait en plus « responsable de la mort de 500 personnes en 30 ans » selon l’Express.

        Je me permets donc de vous demander M. de Durat ce que signifie pour vous la responsabilité puisque vous l’invoquez.
        Ces pratiques sont-elles responsables selon vous?

        En espérant que le débat continue. Il est essentiel sur des questions comme celles-ci.

        Maxime Orhon

    • Alice dit :

      Je serai très curieuse (sans ironie aucune, cela m’intéresse réellement) d’avoir une opinion inverse pour que le lecteur puisse se faire une meilleure idée de l’étendue de la question. Mais ce que vous proposez est pour l’instant bien mince, j’aimerais plus de précisions !

      (Une précision de ma part cela dit, si vous pensez que les étudiants des IEP font partie de l’élite de la société, vous vous trompez vraiment. Il y en a des extrêmement brillants, mais restons réalistes)

  3. […] This post was mentioned on Twitter by palmoliv, DStricher, Guillaume de DURAT, Isa de FONDAUMIERE, Adecco Medical and others. Adecco Medical said: RT @gdedurat: RT @kiwfranc: Très chère Santé : labos et lobbies | IEP Mag http://shar.es/0L1H9 #health20fr […]

  4. En voilà des commentaires !
    Je suis prêt à répondre de façon plus argumentée mais pas ce soir et j’en suis désolé – j’ai un rendez-vous. Lorsque je disais que l’article n’était pas à jour, c’est qu’entre le rapport de l’IGAS de 2007 et 2010 il y a eu des engagements des Entreprises du Médicament envers les Autorités (Haute Autorité de Santé, Comité Économique des produits de Santé..)
    Pour ce qui est de la faute de frappe, mon billet suivant a rectifié pour « publics » .
    Enfin je parle en mon nom propre et n’engage aucunement le Leem dont je ne suis plus Secrétaire général adjoint depuis deux années. il n’empêche que je m’efforce, sans aucune animosité de vouloir tempérer des propos qui me semblent caricaturaux parfois.
    Je vous promets donc demain de revenir, si vous m’y autorisez à revenir sur le sujet.
    Monsieur Orhon, merci de votre réaction et volonté de discuter sans monter dans les tours!! j’ai trop souvent cette question partir dans des discussions doctrinaires alors que je suis le premier à proposer de discuter, bien que je ne sois aucunement la voix légitime des Entreprises du Médicament ni d’un laboratoire en particulier.

  5. Martin dit :

    Monsieur de Durat,
    si vous avez comme moi regardé l’émission C dans l’air de ce vendredi, vous aurez certes entendu que nous ne sommes pas les seuls à poser la question des médicaments en France.
    Les reportages présentés par Monsieur Calvi posent toutefois des questions intéressantes. Les soit disants rapports d’analyse sur des médicaments signés par des soit disants experts se sont avérés, après enquête, avoir pratiquement tous été rédigés par les firmes des médicaments elles-mêmes.
    Comment faire confiance à un scientifique dont la totalité du financement et donc la carrière complète dépendent de l’unique soutien d’un laboratoire ?

  6. […] écho à un précédent article sur la santé dans le cadre de notre série ministérielle (article qui avait provoqué […]


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