La santé est malade

En écho à un précédent article sur la santé dans le cadre de notre série ministérielle (article qui avait provoqué l’intervention d’un professionnel du médicament dans les commentaires), un contributeur de Sciences Po Strasbourg suit de près le dossier sensible et complexe de la santé pour IEP Mag. Etat des lieux inquiétant.

L’IGAS persiste et signe: le système de santé français est malade…complètement malade!

Après avoir déjà été très critique à l’égard du système de santé français dans la foulée de l’affaire du Mediator en janvier dernier, l’Inspection générale de affaires sociales (IGAS) en remet une couche dans son nouveau rapport publié ce lundi 21 juin 2011.

L’IGAS dénonçait déjà au début de l’année la « désinformation » pratiquée par les laboratoires Servier auprès des autorités publiques quant aux effets du Mediator. Le géant pharmaceutique avait en effet tout mis en œuvre dans sa stratégie de communication pour minimiser les caractéristiques anorexigènes (coupe-faim) de ce fameux médicament sachant pertinemment que des molécules de la même famille pharmacologique que le Benfluorex (principe actif du Mediator), telle la fenfluramine, avaient été reconnues toxiques et promptes à développer de l’hypertension légitimant ainsi la suspension de leur autorisation de mise sur le marché (AMM) dès 1997. L’IGAS estimait en janvier dernier que les laboratoires Servier avaient en outre bénéficié du laxisme et d’une « tolérance excessive » de l’agence du médicament (AFSSAPS) chargée d’évaluer les risques sanitaires des médicaments et de délivrer les AMM. Et les experts de l’Inspection d’ajouter alors que la mise en place de la politique de déremboursement du Mediator par les pouvoirs publics avait été désastreuse compte tenu de l’inefficacité avérée de ce médicament contre le diabète.

Pour une Agence du médicament plus indépendante des labos pharmaceutiques

Le rapport publié lundi dernier va plus loin et met en avant les failles immenses de notre système de santé qui ont rendu possible l’affaire du Mediator. L’IGAS y dresse un tableau sans concession et pointe du doigt le désengagement progressif de l’État.

Pour éviter d’autres Mediator et mettre en place un réel système objectif d’évaluation des risques du médicament, l’IGAS propose de rééquilibrer le rapport de force entre l’AFSSAPS et l’industrie pharmaceutique. Les expertises et les données recueillies par l’Agence du médicament sont basées essentiellement sur de l’expertise externe et l’Agence dépend trop fortement des informations de l’industrie pharmaceutique. En outre, l’AFSSAPS ne dispose pas de prérogatives assez fortes pour pouvoir imposer sa volonté aux industriels du médicament. Ces derniers peuvent légalement retarder la mise à disposition d’informations essentielles et ne sont pas obligés de transmettre certains résultats négatifs concernant des études préalables à la commercialisation d’un médicament. On en arrive ainsi à cette situation dangereuse où les labos ne transmettent pas tous les essais cliniques réalisés concernant les effets indésirables des médocs qu’ils souhaiteraient commercialiser. L’IGAS préconise donc de permettre à l’AFSSAPS de disposer de moyens considérables pour avoir accès à tous les documents des industriels en les forçant si nécessaire et surtout de développer au sein de l’Agence une expertise interne indépendante de l’industrie pharmaceutique avec de vrais experts qui ne soient pas en même temps employés par un labo comme c’est le cas trop souvent.

De même, l’IGAS s’étonne que le principe de précaution ne soit toujours pas appliqué avec une rigueur plus grande et déplore que le doute bénéficie aux industriels et non aux patients. En témoigne le nimésulide, antiiflammatoire responsable d’effets indésirables hépatiques qui n’est plus remboursé depuis janvier 2011 suite à la décision de la Commission de la transparence mais qui reste malgré tout disponible sur le marché.

Interdire la visite médicale

Enfin et cette recommandation n’est pas des moindre, l’IGAS suggère d’interdire la visite médicale qui « joue un rôle pervers, inflationniste et contraire à la santé publique ». En effet, comme le signalait l’Inspection dans un rapport publié en 2007, plus de 95% des médecins reçoivent des visiteurs médicaux dans leur cabinets. Ces visiteurs sont chargés officiellement d « ‘informer » les médecins sur les meilleurs médicaments à prescrire face à tel ou tel symptôme. Problème, ils sont tous employés par l’industrie pharmaceutique et ont surtout pour rôle de promouvoir les médicaments commercialisés par leur employeur et en priorité les médicaments brevetés qui rapportent plus que les génériques mais qui coûtent bien sûr davantage à la sécu. Heureusement que la plupart d’entre nous ont souscrit à une mutuelle, qui le plus souvent, rembourse les frais occasionnés en extra. Au travers de primes qui peuvent atteindre jusqu’à 30% de leur salaire s’ils parviennent à convaincre les médecins de prescrire les médocs de leur labo, les visiteurs sont donc clairement poussés à entretenir la spirale inflationniste. L’IGAS recommande donc la création d’un Organisme public d’information sur le médicament qui puisse briser cette logique marchande.

Depuis plusieurs années, la critique du système de santé français commence à se faire entendre et perce doucement, certainement trop doucement. L’IGAS a multiplié les constats alarmants et les recommandations pour en finir avec cette logique qui risque de conduire au désastre financier (le trou de la sécu se dilate) et sanitaire (le Mediator nous l’a rappelé). Même si le Ministre de la santé, Xavier Bertrand, entend s’attaquer au problème et réformer « de fond en comble » notre système de santé, il n’envisage toujours pas de supprimer la visite médicale malgré les préconisations de l’IGAS. La route est encore longue…

Maxime Orhon – Sciences Po Strasbourg ((L’opinion développée n’engage que son auteur et non pas la rédaction.))

Crédit Photo : Tom Varco



2 commentaires

  1. Maxime dit :

    Pour ceux qui sont intéressés par le sujet, regardez l’émission « c dans l’air » diffusée le vendredi 8 juillet 2011, intitulée « Médicaments, le grand inventaire » où l’on apprend plein de choses croustillantes et déprimantes à la fois.
    http://www.france5.fr/c-dans-l-air/

  2. Maxime dit :

    En complément de cet article, arrêtons-nous sur une page du Canard enchaîné (29/06/2011) qui rend elle aussi hommage au rôle de la visite médiale et à « son utilité pour la santé publique ». Le volatile impertinent y révèle que le laboratoire Takeda avait promis des primes énormes à ses visiteurs médicaux pour les motiver à écouler les stocks de l’Actos (un médicament antidiabétique) avant la suspension prévue de ce dernier sur le marché pour le 9 juin « pour cause de risque de cancer aggravé de la vessie ».
    Le risque du cancer n’empêche pas de faire des affaires.


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