[Remaniement] La bataille à droite pour 2012 peut commencer

UMP Copé et Fillon

A la suite du remaniement ministériel et dans le cadre de notre série spéciale lancée hier, un contributeur régulier d’IEP Mag, Isaac, revient sur les raisons et les conséquences de ce remaniement qui fait couler beaucoup d’encre. La route vers 2012 pour N. Sarkozy ? Un chemin semé d’embuches selon lui, et pas des moindres. Mais attention à ne pas le sous-estimer ! Une conclusion qui n’est pas sans rappeler celle d’une analyse différente déjà présentée dans IEP Mag: Pourquoi Sarkozy gagnera en 2012?

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La bataille à droite pour 2012 peut enfin commencer

Nicolas Sarkozy est-il génial ou a-t-il complètement perdu la main ? A moins de deux ans de la présidentielle et après la séquence politique que nous venons de vivre, la question se pose. Avec d’autant plus d’acuité que la logique du remaniement peut paraître obscure.

Nicolas Sarkozy a choisi de faire plaisir au cœur de sa majorité, l’UMP. Exit les « exaspérantes » Rama Yade et Fadela Amara, Fillon est préféré à Borloo, plus social et Juppé, pilier du RPR avec Michèle Alliot-Marie, fait son retour après son bref passage en 2007. L’ouverture est finie (ou, comme l’avait demandé Pierre Lellouche en 2007, elle se fait jusqu’à la majorité », Bockel et Kouchner s’en vont. De même, l’arrivée au gouvernement de Frédéric Lefebvre et Xavier Bertrand peut se lire dans cette optique. Ce choix se fait pourtant à rebours de la stratégie adoptée depuis 2007 et de la raison d’être de l’UMP. Longtemps, Nicolas Sarkozy a martelé qu’il voulait rassembler le plus largement possible dès le 1er tour, au risque de vider ses réserves de voix mais en créant une dynamique. Voilà pour la logique générale, un retour aux classiques en somme.

Quatre observations peuvent être effectuées sur ce remaniement et la situation de la droite en général à 18 mois de la présidentielle.

La nuisance Villepin

« Nicolas Sarkozy est l’un des problèmes de la France » a déclaré il y a peu celui qui devait être pendu à un « croc de boucher » à l’issu du procès Clearstream. Résultat, une villepiniste, et non des moindres, Marie-Anne Montchamps entre au gouvernement. Après Georges Tron et Bruno Le Maire, les amis de Dominique de Villepin sont aussi nombreux que les centristes, il s’agit d’un score plus qu’honorable pour celui que la garde rapprochée du Président traite régulièrement de « fou » ou « d’illuminé ». Il est significatif que Nicolas Sarkozy s’acharne à déstabiliser un adversaire qui semble, malgré tout, modeste. Loin de faire l’unanimité chez les députés UMP, il reste, pour de nombreux « jeunes », l’artisan du CPE. Soit Nicolas Sarkozy diagnostique avec clairvoyance une nuisance puissante pour 2012, soit il cède ici à une pulsion personnelle pour humilier davantage Dominique de Villepin, auquel cas, il s’agit d’une véritable erreur politique.

La bataille du centre

Il s’agirait d’une véritable erreur politique car, pour ce qui est (sans doute) le dernier remaniement du quinquennat, les places étaient comptées. Jean-Louis Borloo, président du Parti Radical Valoisien, et Hervé Morin, chef du Nouveau Centre, retrouvent le ministère de la Parole et s’apprêtent à se battre violemment pour être désigné comme candidat unique du centre droit en 2012. Borloo a une longueur d’avance. Il réunit régulièrement les piliers du courant centriste et « ça a de la gueule » selon Jean-Louis Bourlanges, ex-UDF. Hervé Morin, quant à lui, ne fait pas l’unanimité et parait loin d’être le candidat naturel comme il le laissait entendre. Encore une fois, la logique sarkozyenne sur cette question est difficile à saisir. Soit il souhaite l’émergence d’un centre fort pour le soutenir au second tour, auquel cas il aurait du garder son désormais ex-ministre de la Défense au gouvernement et ainsi laisser le champ libre à Jean-Louis Borloo. Soit il souhaite qu’ils s’entretuent et alors, il aurait fallu qu’il donne des gages sérieux aux centristes pour s’attirer leurs faveurs dès le 1er tour. La suppression du ministère de l’Identité Nationale me semble bien légère pour les contenter. En effet, les électeurs traditionnels du centre se tourneront sans doute vers Villepin ou peut-être même Bayrou s’ils ne se sentent pas représentés efficacement. La bataille du centre ne fait que commencer et elle est de la plus haute importance pour la majorité. Après l’humiliation subie par Borloo, quelle attitude va-t-il adopter vis-à-vis de Nicolas Sarkozy ? Y a-t-il eu un pacte entre lui et le Président ? Son souhait d’œuvrer pour « une plus grande cohésion sociale » va-t-il l’amener à une position critique et corrosive à l’égard du Président Sarkozy ? Les réponses à ces questions sont d’une importance capitale pour appréhender le futur rapport de force qui émergera à l’approche de la présidentielle.

Les dynamiques internes à l’UMP

Si le centre est important, l’UMP reste la problématique majeure pour comprendre la situation politique à droite. Nicolas Sarkozy le sait et c’est pourquoi il a choisi « d’UMPiser » son gouvernement. Pourtant, là aussi, il semble perdre la main. Fillon et Copé ont réussi à s’imposer comme des poids lourds de la droite parlementaire. L’adjectif « parlementaire » a son importance tant les deux hommes sont populaires auprès des députés et sénateurs. Et, de fait, ils ont obtenu du Président ce qu’ils souhaitaient : l’un le Parti et l’autre Matignon. A eux deux, ils ont la capacité de réduire à l’impuissance le Président. Que vont-ils faire ? Copé a toujours déclaré penser à la présidentielle de 2017. Il reste fidèle au Président, tout en affirmant régulièrement sa différence. Tout comme Fillon, dans une autre mesure, lui qui a fait savoir récemment que « Nicolas Sarkozy n’a jamais été son mentor ». S’ils le veulent, les deux hommes sont capables d’imposer leurs vues politiques (Jean-François Copé a fait voter la loi sur la burqa, de son propre chef) et peut-être, de remporter la présidentielle au cas où Nicolas Sarkozy ne se représenterait pas. Le rapport de force a changé du tout au tout au sein de la majorité depuis 2007 et l’opinion semble le percevoir, Fillon étant désormais considéré comme un meilleur candidat que Nicolas Sarkozy pour 2012. Avec ce remaniement, le Président a entériné ce nouveeau contexte et semble accepter d’être position de faiblesse. Il aurait très bien pu débarquer François Fillon, le forçant à un relatif anonymat et offrir le poste à Jean-François Copé qui aurait dès lors dû mettre en sourdine sa différence. Il a choisi de donner aux deux hommes qui comptent désormais à droite ce qu’ils voulaient renforçant ainsi leur position respective.

L’inconnue FN

Le remaniement a (enfin) supprimé un des marqueurs importants du quinquennat : le trop fameux « ministère de l’Identité Nationale et de l’Immigration ». Par là même, toute la stratégie de Nicolas Sarkozy par rapport au FN se retrouve mise en cause. Il voulait siphonner les voix du Front National et il semblerait qu’il ait plus perdu que gagner en l’espèce, en s’aliénant une partie des voix du centre. Le parti de Jean-Marie Le Pen aura un nouveau chef en janvier, soit la fille, soit Bruno Gollnisch. Rien n’est joué, la médiatique Marine Le Pen n’est pas sûre de l’emporter comme le prouve le ralliement le mois dernier de l’hebdomadaire Minute à la candidature de Bruno Gollnisch. De nombreux paramètres et problématiques entrent en ligne de compte dans le choix des militants et il est assez difficile de prédire l’issue du vote. Cependant, les nombreux électeurs du FN qui s’étaient laissé tenter par Nicolas Sarkozy en 2007 risque de revenir à leurs premiers amours après la suppression du ministère « de l’Identité Nationale », les concessions (scandaleuses) accordées aux dockers de Marseille, le bling bling, la potentielle suppression du bouclier fiscal… La figure sociale de Marine Le Pen, ancrée à Hénin-Beaumont dans une région en crise –ce qui lui donne une certaine crédibilité- peut attirer les faveurs d’un électorat encore plus large en puisant dans les couches populaires déboussolées par la crise. Ainsi le changement de stratégie vis-à-vis du Front National peut clairement porter préjudice à Nicolas Sarkozy, peut-être dans une moindre mesure si Gollnisch l’emporte tant celui-ci est inconnu du grand public et peu charismatique.

La bataille du centre, les ambitions de François Fillon et Jean-François Copé, la puissance du Front National, tout cela place Nicolas Sarkozy dans une position difficile pour 2012. A moins qu’il ne soit génial et organise un formidable retournement de situation en sa faveur, ce qui peut toujours arriver en politique…

Isaac van Poperinghe – Sciences Po Strasbourg ((L’opinion développée n’engage que son auteur et non pas la rédaction.))



4 commentaires

  1. Youpla dit :

    Sarkozy s’agite. Sarkozy a peur. Difficile de voir qui va sortir gagnant de tout ce tumulte.

    Si Villepin a la clairvoyance de réunir les déçus du Sarkozysme comme Rama Yade ou autres sous son égide, alors on peut entrevoir un sérieux revers pour le président.

  2. Yann dit :

    En effet il reste à savoir si le choix de Fillon s’avère gagnant en 2012 notamment quand il faudra rassembler les centristes… Plus que 18 mois à attendre pour avoir la réponse.
    http://lebuzzcontinue.wordpress.com/2010/11/15/il-faut-toujours-un-gagnant-et-un-perdant/

  3. Isaac van Poperinghe dit :

    Je ne suis pas sûr que Borloo soit le grand gagnant. Au contraire, il a eu là une occasion formidable pour prendre le leadership du centre et c’est ce qu’il va faire. Si Borloo était resté au gouvernement, Morin aurait pu prendre plus d’ampleur. Ce qui va compter, c’est son degré de critique vis à vis de Sarkozy.

  4. Hélène M. dit :

    A propos de Villepin :

    « Soit Nicolas Sarkozy diagnostique avec clairvoyance une nuisance puissante pour 2012, soit il cède ici à une pulsion personnelle pour humilier davantage Dominique de Villepin, auquel cas, il s’agit d’une véritable erreur politique. »

    Que de Villepin soit actuellement puissant ou non, je ne crois pas que ce soit la question. Il a un potentiel certain. Par prudence, Nicolas Sarkozy a débauché cette villepiniste, je ne vois pas pourquoi il s’en serait privé s’il en avait la possibilité. Et si cela humilie de Villepin, eh bien celui-ci n’a qu’à s’en prendre à lui-même. Il n’a pas su retenir Mme Montchamps et il ne pourra pas s’en plaindre devant les Français, ce serait ridicule. Mme Montchamps ne lui appartenait pas, elle est majeure et vaccinée, elle a choisi de partir. (Loin de moi l’idée de louer son opportunisme.) Les Français le verront plutôt comme un loser, au pire un martyr. Mais qui voterait pour un martyr ? Par conséquent, pas d’erreur politique de la part de Sarkozy selon moi.

    A propos de Matignon :

    « Il aurait très bien pu débarquer François Fillon, le forçant à un relatif anonymat et offrir le poste à Jean-François Copé qui aurait dès lors dû mettre en sourdine sa différence. Il a choisi de donner aux deux hommes qui comptent désormais à droite ce qu’ils voulaient renforçant ainsi leur position respective. »

    Je crois que tu simplifies quelque peu l’alternative qui s’offrait au chef de l’Etat. Peut-être qu’il a effectivement proposé Matignon à Copé mais que celui-ci n’en a pas voulu (il me semble d’ailleurs l’avoir lu dans Le Monde mais je n’en mettrais pas ma main à couper). D’autre part, il aurait été difficile de débarquer Fillon avec sa popularité. Le fait est, à mon avis, que Sarkozy a eu un choix restreint et qu’il a pris non pas l’option idéale (qui n’existe pas) mais l’option qui lui a paru « la moins pire ».


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